à Ferney par Geneve 31 Xbre 1762
Monsieur,
Premièrement j'ay l'honneur de vous demander un tonnau de votre meilleur vin; et pour celuy qui s'est tourné en huile, comme ce n'est point oleum lætitiæ permettez que je n'en demande pas.
Voulez vous avoir la bonté d'envoier votre bon tonneau avec double futaille à mr Camp à Lyon le quel me le dépêchera. Les rouliers ordinaires feront cette besogne sans envoyer un roulier exprès passer à grands frais la Faucille.
Secondement pui je implorer votre protection pour avoir quatre mille plantons des meilleures vignes de Bourgogne. Je sçais bien qu'il est ridicule de planter à mon âge; mais quelqu'un boira un jour le vin des mes vignes; et cela me suffit, homo sum et vini nihil a me alienum puto. Dites moy du moins à qui je dois m'adresser en bien payant. On m'enverra les plans en mars, et je les planterai en avril; et si le temps est beau, on me les enverra en février, et je les planterai en mars.
Troisièmement n'êtes vous pas arbitre entre messieurs les 1ers présidents de la Marche? Du moins vous connaissez ces affaires malheureuses que je voudrais voir terminées. Je prétay il y a plus d'un an vingt mille livres à m. l'ancient premier président. On me dit que la terre de la Marche répond de la dot de mesdames ses filles et des biens maternels de M. le 1er président son fils. Il se présente un party pour melle Corneille, et je luy donne ces 20000lt pour dot, si l'affaire réussit. Mais je dois craindre de luy assigner une dot litigieuse, et je voudrais des affaires nettes. Je voudrais surtout ne déplaire ny au père ny au fils. J'espère qu'ils seront bientôt d'intelligence, mais en attendant pui-je vous demander la vérité? Je vous demande le secret et je vous le garderai. Pardonez la liberté que je prends et ne l'imputez qu'à ma confiance respectueuse.
Le raporteur de l'affaire du parlement au conseil, vint chez moy au commencement de l'automne. J'ay lu tous les mémoires. Il ne m'apartient que de vous témoigner ma vénération pour votre corps. Vous êtes les pères du peuple, je fais des vœux pour que tout rentre dans l'ordre acoutumé.
Pui-je prendre la liberté de vous supplier monsieur de présenter mes respects à Monsieur le 1er président et à mr le procureur général?
Pardon de mes libertéz et de mes trois numéro.
Si le vin de madame Lebeau n'est pas comme les lis qui ne filent point; ce n'est pas sa faute. Ce n'est pas non plus la vôtre, qui ne pouvez aller juger vos tonnaux dans vos terres.
J'ay l'honneur d'être avec les sentiments les plus respectueux
Monsieur
Votre très humble et très obéisst serviteur
Voltaire