1739-04-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Johann Bernoulli.

Homo sum, humani nihil a me alienum puto, ne me faites donc point d'excuse monsieur, ni par ce que vous m'ordonnés, ni sur les justes sentimens d'un père respectable; je me crois né pour sentir comme pour penser, mon cœur se met sans peine à la place d'un père qui pleure un fils digne de ses regrets et qui veut laisser un monument de sa douleur et du mérite d'un fils qui justifie ses larmes.
D'ailleurs M. vous m'avez rendu cher tout ce qui vous apartient. Je voudrois être meilleur poëte pour vous mieux servir. Voici ce que l'envie de vous obéir m'a dicté: voyés si on en sera content.

O mort, fille du tems, ton affreuse puissance
Sur sa brillante tige a séché cette fleur.
O mort tu nous ravis la plus chère espérance
Qui devoit de nos murs assurer le Bonheur.
Ah! si la main de dieu qui fait nos destinées
Pour prix de nos vertus eût prolongé nos jours,
Ce mortel enlevé dans ses jeunes années
Jamais de son destin n'eût terminé le cours.
Mais le ciel aux humains donne une autre existence
Nous volons dans le sein de l'immortalité.
La mort n'est point un mal; elle est la récompense
De nos jours innocents coulés dans l'équité.
Père, amis, citoyens, bannissés vos allarmes,
Autour de cette tombe en vain vous soupirés.
Levés les yeux au ciel, il tarira vos larmes
Peutêtre envierés vous celui que vous pleurés.

Conservés vôtre santé M. et que jamais je ne vous rende le triste service que je rends aux mânes de votre cousin. Me la marquise du Chatelet vous fait ses compliments les plus sincères, nous sommes bien bernoulliens,

A jamais M. votre &c.

Voltaire