[c. 25 March 1775]
Grand Voltaire, de qui la gloire,
Au sein de l'immortalité,
Ira, de mémoire en mémoire,
Intéresser l'humanité,
Servir de sujet à l'histoire,
De phare à la postérité;
Acceptez l'hommage sincère
Que vous offre un enfant du nord,
Qui n'a de titre littéraire
Qu'un brûlant désir de vous plaire:
Ou pardonnez lui son transport.
Etant si près de vous, monsieur, pouvait il résister plus longtemps à l'impérieuse démangeaison de vous marquer sa reconnaissance, pour tant d'ouvrages qui l'ont échauffé dans le pays des frimas.
Mais quoique vous soyez le père
De ces chants si pleins d'agrément,
Où le plaisant & le sévère,
Où le tour & le sentiment
Disputent à qui sait mieux plaire;
Vous êtes bien peu conséquent,
Sauf votre respect liminaire,
D'avoir au bas mis votre nom:
Il fallait, sublime Voltaire,
Il fallait signer Apollon.
Je me suis mis au rang des rimeurs, comme vous voyez, monsieur, & dans une langue, si vous n'y aviez écrit, absolument étrangère à moi, mais tout cela moins par étude que par sentiment; je me suis dit de bonne heure:
Comme un torrent impétueux
Le temps coule & se précipite:
Se plaire à le fixer est la gloire des dieux;
Pour nous un moindre espoir doit couronner nos voeux,
Apprenons à tromper sa fuite;
Par nous mêmes soyons heureux;
Et, sans porter envie au partage suprême,
Recueillons notre esprit à l'aspect de ce temps;
Et loin de tout fade systême,
Epluchons tous ses traits, goûtons tous ses instants.
Le plaisir le prolonge en dépit de lui même.
Le prince de Beloselski