1740-10-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Votre humanité ne recevra point cet ordinaire de mes énormes paquets.
Un petit accident d'ivrognes arrivé dans l'imprimerie a retardé pour un ou deux jours l'achèvement de l'ouvrage dont j'ay envoyé à votre majesté les premières feuilles. Cependant ce fripon de Vandure débite sa marchandize avec succez, et jouit de mes bienfaits tout à son aize.

Parmy le tribut légitime
De Respect, d'amour, et d'Estime
Que vous donne le genre humain
Le très fade Cousin germain
Du très prolixe Telemaque
Très dévotement vous attaque,
Et prétend vous miner sous main.
Ce bon papiste vous condamne
Et Vous et le Machiavel
A rôtir au feu d'Uriel
Ainsi que tout auteur Profane.
Il sera damné comme un chien,
Dit il, cet auteur qu'on renomme
Ce n'est qu'un sage, un honnête homme
Ecrivant pour les gens de bien
Je veux un fripon bon crétien
Et qui soit serviteur de Rome.
Ainsi parle ce fier bigot
Pilier boiteux de son église.
Comme ignorant je le méprise,
Mais je le crains comme dévot.

Luy et le secrétaire de son ambassade, qui est un jésuitte nommé la Ville, commencent à racourcir un peu les longues phrases qu'ils débitoient en faveur de l'évêque de Liege, mais je sçai qu'ils parlent à leurs confidents d'une manière peu édifiante.

Roussau cet errant hipocrite
D'un vieil hébreu, vieux parasite
A quitté ces tristes climats;
Monsieur Dulis l'israelite,
Le plus riche juif des états,
A donné d'un air d'importance
L'aumône de cinq cent ducats
A son rimeur dans l'indigence.
Le rimeur ne jouira pas
De ce beau présent judaïque,
Déjà son âme satirique,
Est très voisine du trépas
Et son corps est paralitique.
Pour la pesante république
De nos seigneurs des Pays Bas,
Elle est toujours apoplectique.

C'est un plaisant pays sire que celuy cy. Vanduren y a le droit de débiter son livre uniquement parce qu'il l'a annoncé dans les gazettes. Il veut interdire à tout autre libraire la faculté de l'imprimer aussi.

Sire comme il est absolument nécessaire pour nos seigneurs les sots qui sont en si grand nombre sur la terre, que l'Antimachiavel paraisse incessament d'une manière un peu plus crétienne, je prends toute l'édition, afin d'évitez tout procez, et je l'envoye partout, afin d'apaiser ou de prévenir tout préjugé.

La lettre de votre majesté à L'évêque de Liege a ramené les esprits; votre majesté y rapelle les raisons détaillées dans le mémoire de 1737. Ainsi je me flatte que ce bourgeois de Herstal qui a donné au public l'abrégé