1740-10-07, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher Voltaire, votre amitié se manifeste de toutes les manières et je vous ai toute l'obligation qu'un cœur reconnaissant doit avoir pour la tendresse d'un ami.

Je vous envoie ici un grand livre où vous trouverez toute l'histoire de mes droits sur la seigneurie d'Herstal dont vous ferez assurément meilleur usage que qui que ce puisse être. Vous ferraillez contre Vanduren, et vous écrivez contre mons. de Liège, ainsi que Mornay servait Henry 4 de la plume et de l'épée. On imprimera de plus dans les gazettes de Berlin et de Hollande un précis du livre que je vous envoie par quoi ma conduite se justifiera. Cette démarche était nécessaire à quelques égards pour me mettre sur un bon pied, avec des petits princes qui s'étaient mis du temps de mon père sur un très mauvais ton, et qui manquaient à toutes les considérations qu'ils lui devaient.

J'ai d'ailleurs fini mon affaire avec le prélat colérique de Liège, il m'a envoyé des députés pour excuser sa conduite, et j'ai été satisfait de cette démarche, ce qui m'a porté à vendre Herstal, moyennant quoi en me payant une dette de 20 ans, je retire mes troupes et j'évacuerai le comté de Horn, accomplissant par là en entier ce que j'avais annoncé au public dans mon manifeste.

Je n'ai d'ailleurs point voulu garder la comté de Horn puisqu'elle est beaucoup plus considérable qu'Herstal, et que je n'aurais eu autre droit dessus que celui du plus fort sur les biens du plus faible, et comme cette marche des troupes n'était simplement que pour obliger le prince de Liège à garder des mesures avec moi, et n'en point agir impertinemment, il ne serait pas bienséant d'y mêler des affaires d'intérêt. D'ailleurs ayant d'autres vues que les politiques de la Haÿe m'en supposent, il n'est point étonnant que ma conduite ne soit différente de ce qu'ils la règlent. Imaginez vous deux personnes dont l'une joue aux échecs et l'autre regarde. Celle qui regarde formera d'autres desseins que celui qui joue, et elle trouvera toujours les pions de l'autre mal mis jusqu'à ce que le joueur lui découvre quel était son but.

Il s'agit de savoir si je me suis précipité d'agir, ou si les autres se sont précipités de juger de mes actions. Ce n'est pas à moi à décider, mais je suis obligé de me servir de la phrase de gazetiers, le temps l'éclaircira.

En voilà assez pour la politique. Croiriez vous bien que j'ai eu la hardiesse malgré la fièvre et mon peu de talents d'entreprendre un poème épique? L'exorde en est fait mais je ne puis commencer les chants qu'après avoir encore fait quelque lecture. Auguste et Antoine en sont le sujet, et l'action commence à la bataille d'Actium. Peut-être ne l'achèverai je jamais, du moins aurai je le plaisir de travailler sur un sujet qui me sera très agréable.

Adieu cher ami, ange tutélaire de mes intérêts, source inépuisable de mes délices, protecteur des muses de Berlin, je vous embrasse mille fois. Continuez à m'aimer, et je ne finirai de vous chérir.

Federic