A Paris ce 11 novemb. 1762
Je vous avouerai franchement qu'à l'apparition d'un fils les entrailles de père n'ont point parlé. Entièrement occupé de ma femme je n'ai senti bien vivement que la joie de son heureuse délivrance. Je conçois cependant que lorsque j'aurai un peu plus fait connaissance avec mon marmot, une infinité de petites choses formeront un lien très fort. L'idée de sa mère et la mienne s'identifieront avec lui. Je regarderai ma femme et moi même avec complaisance dans notre enfant, ses caresses naïves, ses grâces me toucheront, ses besoins, surtout, nous le rendront cher et nous nous y attacherons par nos soins. Ma femme et moi sommes fort aises que ce soit un garçon, non par une sotte et ridicule vanité; je n'ai point de nom à perpétuer.
La raison qui nous fait préférer un garçon à une fille, c'est que nous croyons que la condition du premier est la meilleure, nous pensons que la vie lui a été vendue moins cher, qu'au physique et au moral il est moins dépendant, que pour peu qu'il vaille il se tire d'affaire, et qu'avec une fortune aussi médiocre que la nôtre il n'est pas aisé de pourvoir une fille.
Voilà trop vous parler de moi, monsieur, et de ce qui n'intéresse que moi. C'est un premier moment pour lequel je vous demande grâce. Je me garderai bien dans la suite de vous entretenir de mon marmot et de ses gentillesses.
Il ne faut pourtant jurer de rien, nil humani a me alienum puto.
Permettez moi à présent de vous demander des nouvelles de l'édition de Corneille, et ce qui m'intéresse encore plus d'une certaine Olympie, dont on dit que vous êtes père (cette paternité en vaut bien une autre) et que le public attend avec une grande impatience. On vient de nous donner une Irène dont je ne vous dis rien, et on nous prépare une pièce de m. Chabanon que l'on vante beaucoup. Paraissez, monsieur, et tout autre éclat disparaîtra devant vous.
J'ai l'honneur de vous assurer de mon respect et de mon attachement sincère.
S.