1762-11-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bernard Joseph Saurin.

Je vous sçais très bon gré mon cher confrère d'avoir fait un Saurin, et je vous remercie tendrement de me l'avoir appris dans une si jolie lettre.
Je suis de votre avis, c'était un garçon qu'il vous fallait.

J'aime le sexe assurément,
Je l'estime, je sçais qu'il brille
Par les grâces, par l'enjouement,
Que souvent d'esprit il pétille;
Qu'en ses défauts il est charmant;
Mais j'aime mieux garçon que fille.

Cela ne veut pas dire que je sois du goust de Socrate ou des jésuittes, j'entends seulement que je vous souhaittais un garçon.

Nous avons besoin de Saurins
Qui vengent la philosophie
De ces fanatiques gredins
Ergotans en téologie.
Envain depuis peu la raison
Vient d'ouvrir en secret son temple,
L'infâme superstition
Qu'un vulgaire hébété contemple,
Monte toujours sur ses tréteaux.
Elle vous vend son mithridate,
Chaumex la suit, Omer la flatte;
Et des fripons et des cagots
En violet, en écarlate,
Sont ses gilles et ses bedeaux.

Votre enfant mon cher confrère apprendra de vous à penser. Je fais mes compliments à la mère de donner à son fils ses beaux tétons, c'est encore là une sorte de philosophie qui n'est pas à la mode Vous devriez bien avant que je meure, passer quelque temps à Ferney avec la mère et le fils. Les philosophes sont trop dispersez et les ennemis de la raison trop réunis.

C'est une bonne acquisition que celle de l'abbé de Voisenon tant qu'il se portera bien, mais c'est un saint dès qu'il est malade.

J'ai ouï dire en effet beaucoup de bien d'une tragédie d'Epopine. Il faut au moins que la France brille par le téâtre, c'est toutte la supériorité qui luy reste.

Je crois que vous avez assisté aux assemblées où l'on a lu le Jules Cesar de Gilles Shakespear. J'enverrai incessamment l'Héraclius de Scaramouche Caldéron. Cela vous amusera.

Je vous embrasse mon cher confrère de tout mon cœur.

V.