1759-12-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Vous ne vous plaindrez pas cette fois cy, Mon cher et ancien ami, que j'épargne les ports de Lettres; j'ai peur qu'il ne soit ridicule de parler de comédie dans le temps qu'il n'est question que de cus noirs, de bourses vuides, de flotte dispersée & de malheurs en tout genre sur terre et sur mer; l'espérance de la paix est dans le fonds de la boëte de Pandore; mais pendant que tout l'Etat souffre il se trouve toujours des gredins qui impriment, des oisifs qui lisent, et des Frérons qui mordent.
Je vous prie de m'envoyer par mr Bouret, ou par quelque autre contresigneur, la femme qui a raison, et la malsemaine dans laquelle Freron répand son venin de Crapaud. On m'a envoïé la magnifique Edition de l'Ecclesiaste. Elle est imprimée au Louvre avec mon portrait à la tête, mais il y a beaucoup de fautes, et le Texte manque au bas des pages. Il en paraitra une plus belle Edition aprouvée par le Pape. Il faut aprendre à de petits esprits insolens qui abusent de leurs places, à quel point on doit les mépriser, et à quel point on peut les confondre. On reviendrait à Paris leur marquer tout le dédain qu'on leur doit si on n'aimait pas mieux être chez soi libre et tranquile.

Sed nil dulcius est bene quam munita tenere
edita doctrina sapientum templa serena,
unde queas alios passim videre palantes.

On doit regretter la perte de madame mais Paris ne regrette que ses annuitez et ses billets de lotterie. Connaissez vous mademoiselle de Bazincour qui est chez moy? J'ay aussi un géomètre qui traduit l'Arioste en vers. Il a fait un livre de trigonométrie sphérique qu'il a dédié à Dalembert. Il s'appelle la Vallette. En avez vous entendu parler? Son nom est il sur vos tablettes? Que faittes vous à votre Arsenal? quid agis dulcissime rerum?