1759-12-29, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous dois réponse à deux lettres, mon très illustre ami, l'une du 5, l'autre du 15.
Je n'ai point eu besoin de M. Bouret, ny d'aucun autre contresigneur pour vous faire tenir la détestable copie de la femme qui a raison, et la malsemaine des poisons de Freron. Je les ai fait partir par la poste en payant quatre sols par chaque brochure selon l'accord des fermiers avec les libraires, et elles doivent vous être parvenües, ayant été mises à la boëtte le 25. J'userai souvent de cette commodité par la suite, lors qu'il se présentera quelque brochure intéressante.

Je crois que vous êtes mal informé sur le lieu ou a été imprimée l'élégante Edition de l'Ecclesiaste in 8. avec votre portrait à la tête; plusieurs persones l'ont receüe de Hollande, et je n'ai veu encor persone parmi nos curieux et nos connoisseurs en ce genre qui la croyent imprimée au Louvre. On vous en a impôsé. Je viens d'en découvrir une autre pas tout à fait si nette et si brillante avec le portrait fort mal rendu, mais avec le texte latin et françois et les remarques vis à vis des vers françois sous le titre de Précis de l'Ecclésiaste et du Cantique des Cantiques par M. de Voltaire, à Liege chés J. F. Bassompiere libraire, 1759, in 8.. Elle m'a paru plus correcte que l'autre et elle est suivie d'un Mémoire sur le Libelle clandestinement imprimé à Lausane sous le titre de Guerre de M. de Voltaire. Il finit par une lettre à M. Haller et par sa réponse qui sont fort connües ici. Cette édition est fort agréable quoiqu'inférieure à la première, et elle lui est préférable en ce qu'elle est plus complette.

Ce seroit une grande satisfaction pour vos amis et pour tous les gens de bon sens qui ont été soulevés de la flétrissüre injuste et déraisonable, qu'on a exercé contre ces deux ouvrages, où on remarque que vous avés quelquefois adouci sagement le texte. S'il en paroissoit une Edition avec l'approbation du St Père, il y auroit bien de sots fanatiques et de petits Esprits confondus.

On m'a dit que Mle de Basincourt étoit une fille d'esprit qui avoit fait quelque jolis vers. Elle est en liaison avec m. de Chenneviere des buraux de la guerre. Je n'ai pas pu joindre m. Dalembert et personne ne m'a pû dire de votre Géomètre Poëte qui m'étonne bien par l'entreprise de traduire Arioste en vers françois. Il n'y a que vous qui nous en ait fait sentir la posibilité par les beautés ravissantes qui sont répandues à profusion dans la Pucelle.

Le bruit court dans Paris que Marmontel a été mené hier au soir coucher près de mon hermitage. M. le Duc Daumont le croyoit auteur de la Parodie de la scène de l'abdication de l'Empire dans Cinna. C'est une mauvaise plaisanterie picquante dont M. Dargental n'a fait que rire, mais que M. le Duc Daumont n'a pas pris de même. On prétend qu'il a eu la bétise de s'en justifier en avoüant qu'il en avoit fait une autre qui ne pouvoit point l'offenser. Je ne sais s'il est véritablement dans mon vilain voisinage, mais comme cela passe ainsi que bien d'autres malheurs, ce que je trouve de pis, c'est la perte de dix ou douze mille livres que lui raportoit le Mercure dont il est fort menacé.

Madame la marquise de Paulmy a baucoup goûté votre aversion pour l'ambassade de Pologne, mais la soif et l'inquiétude de l'ambition ne font voir à son Mari que des chimères et des illusions politiques dont il est enivré. Il nous dit cependant que le Roi avoit témoigné il n'y a pas longtems dans un souper qu'il lisoit de tems en tems vos ouvrages et qu'il les lisoit avec plaisir.

Les deux frères Danvile et Gravelot, mes anciens amis de collège, vous présentent leurs services, leurs Talents et leur requête pour exciter Mrs Crammer à leur répondre sur tout ce qui leur a été écrit à votre sujet. Ils vous sont bien dévoüés et se font gloire de vous suivre dans votre immortalité.

Votre santé doit être admirable, et si vous conservés l'humeur et la gayeté qui rendent vos lettres si délicieuses vous aurés encor la gloire d'être de la classe des plus illustres centainaires.

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