1759-06-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Mon ancien ami, Mlle Fels est chez moi avec son frère qui est plus vieux que vous, qui a fait le voyage guaiment, et qui chante encore; quand vous voudrez venir nous voir sans chanter vous ne serez pas si bien reçu que chez les Montmorency, mais oves ad flumina pascit Adonis.
De là je conclus que vous pourez très bien venir philosopher sur les bords de nôtre lac. J'ai la folie de faire bâtir un très beau château, mais ce ne sera pas là que j'aurai l'insolence de vous recevoir, mais bien dans la guinguette des Délices; vous verrez un homme entièrement libre; le Roy m'a accordé la confirmation des priviléges de ma terre qui la rendent entièrement indépendante; je suis parvenu à ce que j'ai désiré toute ma vie, l'indépendance et le repos. Vous ferez fort bien de venir partager avec moi ces deux biens inestimables, nous ajusterons ensemble l'histoire de Pierre le grand; plus je vais en avant plus je vois qu'il mérite ce tître. Quand je le vis il y a quarante ans, courant les boutiques de Paris, ni lui ni moi ne \\[nous\\] doutions que je serais un jour son hitorien. Je vous avertis qu'il a fait sortir les Jésuites de ses états, apparemment que quelque frère Berthier lui avait déplû.

Il y a longtemps que quelqu'unéxigea de moi des parafrases de l'ancien Testament; je choisis le cantique des Cantiques et l'Ecclésiaste; l'un de ces ouvrages et tendre, l'autre est philosophique. J'ai eu le plaisir de parler au coeur et à la raison, mais je crains bien que les copies de l'Ecclésiaste ne soient falsifiées, je m'en remets à la Sorbonne pour la condamnation des copistes; je me soumets d'ailleurs au pape et à l'Eglise, avec toute la résignation d'un bon chrétien, tel que je suis, et que j'ai toujours été. Il y a longtemps que j'ai les quatre volumes de Mr d'Alembert et je les ai lus avec un extrême plaisir.

Je ne comprends pas comment vous ne vous ètes pas fait payer des cent vingt livres par made de Fontaine. Elle est chargée par un grand accord de famille de vous payer cette somme et vous recevrez infailliblement vôtre argent tôt ou tard avec cette Lettre.

Bonsoir, je vous quitte pour Pierre le grand. Je me flatte toujours que, quand vous aurez fait vôtre cours d'artillerie sous Mr Bellidor, vous viendrez vous reposer aux Délices.

Vale, sermonum nostrorum candide judex.

V.