à Cirey ce 9 février 1736
Je suis toujours un peu malade, Mon cher amy.
Madame La marquise du Chatelet lisoit hier au chevet de mon Lit les Tusculannes de Ciceron dans la langue de cet illustre Bavard. Ensuitte, elle lut la quatrième épitre de Pope sur le bonheur. Si vous connoissez quelque femme à Paris qui en fasse autant mandez le moy.
Voicy ne vous déplaise un petit huitain qui m'échappa apropos de l'épitre sur le prétendu bonheur.
Après avoir ainsy passé ma journée j'ay receu votre Lettre du cinq février, nouvelle preuve de votre tendresse, de votre goust et de votre jugement. Je vais me mettre tout de bon à retoucher à Alzire pour l'impression, mais il faudroit que j'usse une copie conforme à la manière dont on l'a jouée. Vous pouriez me l'envoyer par la poste, Mr Dargental ou Mr Palu pouroit la faire afranchir par Mr Rouillé si le paquet est trop gros. Samson devoit partir par cette poste, mais je suis obligé de dicter mes Lettres et j'occupe à vous faire parler mon cœur la main qui devoit transcrire, mes sotisses philistines et hébraïques. En attendant je vous envoye le discours apologitique, que je compte faire imprimer à la suitte d'Alzire. Je remplis en cela deux devoirs, je confonds la calomnie et je célèbre votre amitié. J'attends avec impatience le sentiment de Pollion et le vôtre sur ma dédicace à madame du Chatelet. Je veux vous devoir l'honneur de pouvoir dire à Mr de la Popliniere doresnavant, albi sermonum nostrorum candide judex. Son bon mot sur Pauline et sur Alzire est une justification trop glorieuse pour moy. C'est peut être parcequ'il n'a Vu jouer Pauline qu'à madelle Duclos, Vieille, Eraillée, sotte, et tracassière qu'il donne la préférance à Alzire, jouée par la Naive, jeune et gentille Gossin. Ditte de ma part à cette Américaine,
Launay se danne d'une autre façon par les perfidies les plus honteuses. Il y a longtems que je sais de quoy il est capable, et dès que j'ay sçu que du Fresne luy avoit confié la pièce, j'ay bien prévu l'usage qu'il en feroit. Je ne doute pas qu'il ne la fasse furtivement imprimer et qu'il n'en fasse quelque malheureuse parodie. Il a déjà fait celle de Zaire dans la quelle il a Eu l'insolence de mettre Mr Fakener sur le théâtre par son propre nom. C'est ce même Mr Fakener, notre amy, qui est aujourd'huy ambassadeur à Constantinople, et qui demanderoit aussy bien que la nation anglaise, justice de cette infamie, si l'auteur et l'ouvrage n'étoit pas aussy obscur que méchant. Ce qui est étonnat, c'est que Mr le lieutenant de police ait permis cet attantat public contre toutes les loix de la société. Voyez si on peut prévenir de pareils coups par vos amis et les miens. Cependant je destinays à ce malheureux Launay un petit présent, pour reconnoître la peine qu'il avoit prise de lire ma pièce aux comédiens. L'abbé Moussinot devoit le porter chez vous, et aparament il vous parviendra cest jour cy. C'est la seule vangeance que je veux prendre de Launay. Il faut le payer de sa peine et l'empêcher d'ailleurs de faire du mal.
Je crois au petit Lamare un caractère bien différent. Il me paroit sentir vivement l'amitié et la reconnoissance, mais j'ay peure qu'il ne gaste tout cela par de l'étourderie, de l'impolitesse et de la débauche. Je luy ai recommandé expressement de vous voir souvent et de ne se conduire que par vos conseils. C'est là le seule moyen par où il puisse me plaire. Je croi bien qu'il n'est pas encor digne d'entrer dans le sanctuaire de Pollion. Il faut qu'il fasse pénitence à la porte de l'église, avant de participer aux dns mistères.
Ce que vous me mandez de Mr l'abbé de Rottelin me touche et me pénètre. Quoique des faveurs publiques de sa part fussent bien flateuses, ses bontés en bonne fortune me le sont infiniment; tout ce cy me fait songer au pauvre Mr de Maisons son amy. Mon dieu, qu'il auroit été aise du succés d'Alzire, qu'il m'en eût aimé et protégé davantage; faut il qu'un tel homme nous soit Enlevé?
Mandez moi mon cher amy avec votre vérité ordinaire et sans aucune crainte tout ce qu'on dit de moy. Soyez très persuadé que je n'en ferais jamais qu'un usage prudent, que je ne songeray qu'à faire taire le mal et à encourager le bien. Faites moy connoitre sans scrupule mes amis et mes ennemis afin que je force les premiers à ne me point haïr, et que je me rende digne des autres.
Je voudrais bien qu'en me renvoyant ma pièce vous puissiez y joindre quelques nottes de Pollion et des vôtres. Que dites vous du petit Lamare qui ne m'a point encor Ecrit? Il n'avoit rien de particulier à dire à Rameau, je ne l'avois chargé que de complimens. Les négociations ne sont confiés qu'à vous.
Savez vous bien ce qui m'a plus davantage dans votre Lettre? C'est l'esperrance que vous me donné de venir aporter un jour vos hommages à la divinité de Cirey. Vous y verriez une retraite de hiboux que les grâces ont changées en un palais d'Albanne. Voicy quatre vers que fit Linant ces jours passés sur le château.
Vous m'avouerez que voilà un fort Joli quatrain. Vous en verrez bien d'autres, si vous venez jamais dans cette vallée de Tempé mais Pollion ne voudra jamais vous prester pour quinze jours.
J'ay peur de ne vous avoir point parlé des vers que l'aimable Bernard a faits pour moy. Vous savez tout ce qu'il faut luy dire. Adieu, je soufre, mais l'amitié diminue tous les maux.