1736-09-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

J'ay reçu enfin mon cher amy ce paquet du prince royal de Prusse.
Vous verrez par la lettre dont il m'honore qu'il y a encor des princes philosophes, des Marc Aureles, et des Antonins. C'est dommage qu'ils soient au fonds de la Germanie.

C'est au moins mon amy une consolation pour moy que des têtes couronnées daignent me rechercher, tandis que Rousseau, Laserre, Launay et des Fontaines m'acablent de calomnies et de libelles diffamatoires.

Vous savez qu'il y a déjà longtemps que Roussau et Desfontaines firent imprimer un libelle contre moy dans la Bibliothèque française. Puissent mes ennemis m'attaquer toujours de même, et être toujours dans l'obligation de mentir pour me nuire. Je suis persuadé que ce petit la Marre se mettra au nombre de mes ennemis. Je l'ay acablé d'assez de bienfaits pour souhaiter qu'il se joigne à Desfontaines, et qu'on voye que je n'ay pour adversaires que des ingrats, ou des envieux. C'est déjà se déclarer mon ennemy que d'en user mal avec vous. On ne peut pas me déclarer plus ouvertement la guerre. Il est triste pour nous d'avoir connu ce petit homme. Nous sommes bons, on abuse de notre bonté. Mais ne nous corrigeons pas.

Au reste ma bonté ne m'empêche point du tout de réfuter les calomnies de Roussau. Ce ne seroit plus bonté, ce seroit sottise.

Il y a une autre vertu dont je croi que j'auray besoin bientôt. C'est celle de la patience, et de la résignation aux jugements de nos seigneurs du parterre. Mais je crois aussi que vous souviendrez de la belle vertu du secret. Je vous en remercie déjà vous, Pollion et Polimnie.

Dites je vous prie à cette belle muse combien je m'intéresse à sa santé et ménagez moy toujours la bienveillance de votre parnasse.

J'ai lu le mentor cavalier. Quelle honte et quelle horreur. Quoy, cela est imprimé et lu! Mr de la Popeliniere ne doit point en être fâché. On y dit de luy qu'il est un sot. C'est dire de Bernard et de Crozat qu'ils sont des gueux.

Apropos de Bernard aurai-je la Claudine du vray Bernard, du Bernard aimable?

Voici qui me paraît plaisant. Je voulais vous envoyer La lettre du prince royal de Prusse, et je ne vous envoye que ma réponse. Il n'y a qu'Arlequin à qui cela soit arrivé. Mais on copie la lettre du prince, et vous ne pouvez l'avoir cet ordinaire.

Vous aurez la pièce entière de la philosophie Emilienne dont vous avez eü l'échantillon. Je vous embrasse.

V.