1737-02-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je reçois votre lettre du sept février, mon cher amy.
Je pars incessament pour achever à Cambridge mon petit cours de neutonisme, j'en reviendray au mois de juin, et je veux qu'au mois de septembre vous et les vôtres soyez neutoniens. Si mon ouvrage n'est pas aussi clair qu'une fable de la Fontaine il faut le jetter au feu. A quoy bon être philosophe si on n'est pas entendu des gens d'esprit?

J'ay vu l'ode de Roussau; elle n'est pas plus mauvaise que ses trois épîtres. Solve senescentem mature sanus equum, ne. Apollon luy a ôté le talent de la poésie, comme on dégrade un prêtre avant de Le livrer au bras séculier. J'ay apris dans ce pays cy des traits de son hipocrisie, à mettre dans le Tartuffe. C’étoit un scélérat qui avoit le vernis de l'esprit, le vernis s'est en allé et le coquin est demeuré. Mr Daremberg convaincu de ses impostures, et qui pis est ennuyé de luy ne veut plus le voir. Il est réduit à un juif nomme Medina condamné en Hollande au dernier suplice. Il passe chez luy la journée au sortir de la messe. Il communie, il calomnie, il ennuye. N'en parlons plus.

Le prince royal est plus Titus, plus Marc Aurèle que jamais.

J'ay écrit aux deux aimables frères. Ce sont les plus aimables amis que j'aye après vous. Je n'ay point vu le nouveau Rien de L'exjes. A l’égard de la chanson dont une bonne âme nous a afublez, vous saurez, qu'on y a fouré mr de la Popeliniere, votre amy le gentil Bernard, Mr de Maupertuis, mr le Franc. Mais ce qu'il y a d'horrible c'est qu'on y a mêlé les noms effroyables de Desfontaines et du poète Roy. C'est joindre le ciel et l'enfer.

Voicy votre couplet.

Tiriot pauvre hère
De vers juré crieur,
Sallé dans l'Angleterre
T'eut pour ambassadeur.
Prône plutôt la Serre
Que les vers de deux fats
Et de ton Midas.

C'est le petit Lelio qui fait ces belles besognes. Tâchez de reconnaitre son écriture, en voicy des pièces. Adieu, je vous embrasse, j'ay vingt lettres à écrire.