1er May 1731
Je vous écris enfin mon cher Tiriot du fonds de ma solitude, où je serois le plus heureux homme du monde si les circomstances de ma vie ne m'avoient rendu d'ailleurs le plus malheureux.
Je compte quitter dans peu ma retraitte pour vous venir retrouver à Paris. En attendant recevez mes compliments sur les succez flatteurs et solides de votre héroine. Je ne saurois plus résister à vous envoyer cette pièce que vous m'avez si souvent demandée.
je ne puis m'empêcher de laisser aller ces vers qui m'ont été dictez par l'indignation, par la tendresse et par la pitié, et dans les quels en pleurant mademoiselle le Couvreur je rends au mérite de melle Sallé la justice qui luy est due; je joints ma foible voix à touttes les voix d'Angleterre pour faire un peu sentir la différence qu'il y a entre leur liberté et notre esclavage, entre leur sage hardiesse, et notre folle superstition, entre l'encouragement que les arts reçoivent à Londres, et l'oppression honteuse sous la quelle ils languissent à Paris.
On m'a parlé d'un ouvrage nouvau intitulé Calotte au public. Voudriez bien me l'envoyer en cas que cela soit passable, et que l'autheur ait bien coeffé ce monstre à plusieurs têtes.
Gardez moy un profond secret sur ce que je vous confiay avant de quitter Paris. Dites pour dépayser le monde, que je travaille à la tragédie de Jules Cesar. Je vous feray plus d'une confidence quand je reviendray, et je n'arriveray pas les mains vuides. Ma petite attention mérite ce me semble que vous me fassiez une réponse prompte et longue par mon ancien attaché Dumoulin qui vous rendra ma lettre. Il demeure rue de la Mortellerie. Mandez moy comment va votre santé, comment vont vos affaires, et comment vont les belles lettres e ogni virtu. Dites moy si vous êtes content de l’épître à melle Sallé, ce qu'en pensent les amis de la défunte, et s'ils trouvent que l'apothéose ne déshonore pas la divinité. Touttes les fois que vous voudrez m’écrire servez vous du canal de Dumoulin. Songez que vous me devez d'autant plus d'amitié que c'est un baume nécessaire pour mettre sur nos anciennes blessures, et que je vous aime tendrement.
Farewell, love and write.
My services to yr lady and to yr brother.