1754-12-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je vous souhaitte une bonne année mon cher ange, à vous, à made Dargental, à Mr de Pondeveile, à tous vos amis.
Mes années seront bien loin d'être bonnes. Je les passerai loin de vous. Les bains d'Aix ne me rendront pas la santé. Je voudrais que l'envie de vous plaire me rendit assez de génie pour arranger les chinois à votre goust. Mais l'avanture du triumvirat fait trembler les sexagénaires.

Solve senescentem. Il est vray que le triumvirat aurait réussi si j'avais été à Paris. L'autheur ne sait pas l'obligation qu'il avait à ma présance de son Catilina. On commence actuellement à me regarder comme un homme mort, c'est ce qui fait que Nanine a réussi en dernier lieu. Le mot de proscripti qu'on lisait sur les décorations du triumvirat était fait pour moy. Cela me donne un peu de faveur. Si les comédiens entendaient leurs intérêts, ils joueraient àprésent touttes mes pièces; et je ne désespère pas qu'Oreste n'eût quelque succez. Mais je ne dois plus me mêler des vanitez de ce monde.

Je vous demande pardon mon cher et respectable ami de vous importuner de mes plaintes contre Lambert. Je vous supplie de luy faire parvenir cette nouvelle lettre, et d'exiger de luy qu'il renvoye chez made Denis tous mes livres. C'est assurément un détestable correspondant. Je suis honteux de luy écrire une lettre plus longue qu'à vous, mais il faut épargner le port, et j'ay tant à me plaindre de Lambert que je n'ay pu être court avec luy. made Denis, ma garde malade, vous fait mille compliments.

V.