1736-09-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à — Berger.

J'ai enfin reçu, mon cher monsieur, le paquet de mr du Châtelet. Il y avait un Newton. Je me suis d'abord mis à genoux devant cet ouvrage, comme de raison; ensuite je suis venu au fretin. J'ai lu ma Henriade. J'envoie à Prault un errata.

S'il veut décorer mon maigre poème de mon maigre visage, il faut qu'il s'adresse à mr l'abbé Moussinot, Cloître St Méri. Cet abbé Moussinot est un curieux & il faut qu'il le soit bien pour qu'il s'avise de me faire graver.

Je connaissais la Comtesse des Barres. Il n'y a que le tiers de l'ouvrage; mais ce tiers est conforme à l'original qu'on me fit lire, il y a quelques années.

Le Dissipateur est, comme vous le dites; mais les comédiens ont reçu & joué des pièces fort au dessous. Ils ont tort de s'être brouillés avec mr Destouches. Ils aiment leur intérêt & ne l'entendent pas.

Le Mentor Cavalier devrait être brûlé, s'il pouvait être lu. Comment peut on souffrir une aussi calomnieuse, aussi abominable & aussi plate histoire que celle de mde la duchesse de Berry?

Je n'ai point encore lu les autres brochures. Est ce vous, mon cher ami, qui m'envoyez tout cela? Je suis bien fâché que vous ne puissiez pas venir vous même.

A l'égard de la lettre du signor Antonio Cocchi, il la faut imprimer; elle est pleine de choses instructives. Il y a autant de courage que de vérité à oser dire que les fictions dans les poèmes sont ce qui touche le moins. En effet le voyage d'Iris & de Mercure & les assemblées des dieux seraient bien ignorés sans les amours de Didon, & dieu & le diable ne seraient rien sans les amours d'Eve. Puisque le Cocchi a l'esprit si juste & si hardi, il en faut profiter. C'est toujours une vérité de plus qu'il apprend aux hommes. Il faudra seulement échancrer les louanges dont il m'affuble. Il commence par crier à la première phrase: Il n'y a rien de plus beau que la Henriade. Adoucissons ce terme; mettons: Il y peu d'ouvrages plus beaux que, &c. Mais comptez qu'il est bon d'avoir, en fait de poème épique, le suffrage des Italiens.

Le dévot Rousseau a fait imprimer un libelle diffamatoire contre moi, dans la Bibliothèque française de concert avec ce malheureux Desfontaines, qui a été mon traducteur & que j'ai tiré de Bicêtres. Ai je tort, après cela, de faire des homélies contre l'ingratitude? J'ai été obligé de répondre & de me justifier; car il s'agit de faits dont j'ai la preuve en main. J'ai envoyé la réponse à mr Saurin le fils; parce que mr son père y est mêlé; il doit vous la communiquer.

J'ai lu enfin l'épître en vers qu'on m'imputait. Il faut être bien sot ou bien méchant pour m'accuser d'être l'auteur d'un ouvrage, où l'on me loue. Comment est ce que vous n'avez pas battu ces misérables qui répandent de si plates calomnies? La pièce est quatre fois trop longue au moins & d'ailleurs extrêmement inégale. Il serait aisé d'en faire un bon ouvrage. En faisant trois cents ratures & en corrigeant deux cents vers, il en resterait une centaine de judicieux & de bien frappés. Si je connaissais l'auteur, je lui donnerais ce conseil. Quand vous aurez la réponse au libelle diffamatoire de Desfontaines & de Rousseau, je vous prie de la communiquer à mr l'abbé d'Olivet, rue de la Sourdière. Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse.