ce 17 [June 1739] à Bruxelles

Vous saurez mademoiselle que ce grand garçon aussi étourdi sur les affaires des autres que sur les siennes m'envoye au milieu du mois de juin, votre lettre du 5 may.
Elle a même bien l'air d'avoir été décachetée, il est visible qu'on a plaqué deux fois de la cire, et que L'on a mis un chifre par dessus un autre cachet. Il me semble que vous ne vous servez jamais d'un chifre. Il y a grande aparence que notre étourdi est un peu curieux.

Eh bien pour dépayser le monde, il faudra rendre Zulime meilleure. Nous avions déjà nommé les deux enfans de vos chiens noirs, l'un Ramire, et l'autre Zulime. Mais j'ay peur que cela ne ressemble aux gentilshommes ruinez de ce pays cy qui se font appeller votre altesse. Il faut que l'on ait fait une grande fortune pour donner ainsi son nom.

Monsieur Dargental me mande qu'au milieu de vos occupations et de vos plaisirs, vous allez prendre (si vous pouvez) un moment de loisir pour m'envoyer les plus sévères critiques. Je vous en remercie d'avance, ma charmante Talie, faitte pour donner des lois à Talie et à Melpomene, et ne les confiez point à de grands indiscrets. J'avois prié m^r Dargental de me renvoyer les deux copies, afin que je pusse en rassembler ce qu'il y auroit de plus suportable, pour joindre à une troisième, un peu différente que j'ay par devers moy. Mandez moy si vous avez ces copies, et en ce cas ayez la bonté de les envoyer avec vos critiques bien détaillées chez monsieur l'abbé Moussinot, cloître s^t Mery. C'est un docteur de Sorbonne qui veut bien être mon agent et faire mes affaires; j'ay cru ne pouvoir mieux me racomoder avec les dévots qu'en prenant un prêtre pour mon intendant. Mais j'aime encor mieux être bien avec le public; et pour luy plaire il faut avoir vos avis et en profiter. Madame la marquise du Chastelet vous fait les plus sincères compliments. On ne peut avoir pour vous mademoiselle plus d'estime qu'elle en a; pour moy je défie tout le monde, et les la Chaussée, et les Destouches, non pas en vers, non pas en situations, mais en sentimens de reconnaissance, en tendre attachement pour vous, que je conserveray assurément toute ma vie.

V.