ce 18 [February 1739]
Je reçois mademoiselle votre lettre du 12, et vous ne doutez pas combien je suis sensible à vos bontez et à vos sages conseils.
Je conçois que le certificat pourait aboutir à quelque ridicule, car c'est en France le sort de toutes les choses publiques. Mais vous me feriez un très sensible plaisir, si vous m'écriviez une lettre ostensible, qui contiendroit à peu près ce qui suit:
J'ay lu l'infâme libelle attribué par tout le public à un homme qui dès longtemps est votre ennemi; et j'ay jugé comme le public, que c'est un ouvrage également calomnieux et méprisable. Parmy les impostures atroces qui m'ont révoltée, celles des rapines qu'on vous impute sur vos ouvrages, et de je ne sçay quelle querelle arrivée à la comédie sont celles qui m'ont le plus frappée, par ce que j'ay la connaissance du contraire. Tous mes camarades partagent mon indignation contre l'auteur quelqu'il soit de ces abominables calomnies.
Quinaut
Cette lettre qui ne vous commet en rien peut me servir auprès d'une seule personne que je veux mettre au pied du mur et cette personne c'est St Hiacinte, dont j'auray ou les oreilles ou un désaveu.
Je ne vous demande ma chère et estimable Talie que ce que les principaux des avocats, ont fait. Ils m'ont envoyé une lettre à peu près semblable au nom de leur corps. J'espère que j'auray justice de ce scélérat. Votre amy m'a servi comme il sait servir, mais il faudroit un peu de sollicitation auprès de mr Heraut. Vous avez d'illustres amis, ne pouriez vous point faire parler? Je vous aurois une obligation que deux tragédies et deux comédies ne pouroient aquitter.
Je suis bien fâché de votre indisposition. Vous portez vous mieux àprésent? Mais comment pouvez vous avoir de la santé avec vos travaux et vos plaisirs?
Vous voyez bien que Les horreurs de Desf. ne me troublent guères, puis qu'au milieu de L'embaras d'une espèce de procez criminel qu'il faut soutenir de 50 lieues loin, j'ay fait en dix jours une tragédie. Le sujet m'a subjugué, c'est un tourbillon qui m'a emporté. Je ne peux travailler que quand j'ay une matière qui se rend maîtresse de moy. Il m'est venu hier un sujet de comédie admirable. Je le traiteray, j'y suis résolu. Nous allons dans deux mois dans le Brabant et sur les frontières de l'Allemagne plaider pour des successions, et moy je vous feray une comédie, charmante Talie. Vous êtes l'âme du téâtre et la mienne. J'attends vos ordres sur Zulime. Vous êtes comme le cardinal de Richelieu avec les 5 auteurs. Je suis un Colletet mais je vous aime comme Corneille, Racine, ou Molière vous eussent aimée.
Madame la m. du Ch. vous fait mille compliments. Alzire est grosse de Zamore. Voulez vous que le premier né s'apelle Ramire?
Mr de Cailus me comble de bontez. Je crois que je vous en ay l'obligation. Encor une fois et cent fois, j'ai bien raison de vous prier de dire à ce malheureux Merville combien les libelles diffamatoires sont odieux.
Adieu mademoiselle, je suis attaché à votre char pour jamais.
V.