1739-02-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Au nom de dieu mon respectable, mon cher amy, rendez moy à mes études, à Emilie, et à Zulime.
J'ay le cœur pénétré de douleur. J'ay apris que Desfontaines m'a prévenu, et a obtenu du lieutenant criminel permission d'informer contre moy, qu'il m'a dénoncé comme auteur de L'épître à Uranie, et des Lettres ph., qu'il a écrit au Cardinal, qu'il remue ciel et terre, et moy je n'ay pas seulement la lettre de me de Berniere, ny celle de mr du Lyon qui prouveroient au moins son ingratitude, et qui disposeroient le public et les magistrats en ma faveur. Je vous conjure de me renvoyer au moins la copie de la lettre de mr du Lyon. J'attends avec impatience La lettre du bâtonier des avocats, cela ne peut nuire, et peut baucoup servir.

J'ai suspendu mes procédures puisque vous me L'avez ordonné, mais j'ay bien peur d'être obligé de me voir mis en justice par le scélérat même qui me persécute, et que j'épargne.

Je vous envoye une copie de la lettre de mr Dargenson l'aîné, la copie de ma lettre à Mr le chancelier, et des pièces y jointes.

Comme il parait par la lettre de mr Dargenson que la chose est renvoyée à mr Heraut, je prends le party d'envoyer à mr Heraut les mêmes pièces.

St Hiacinte m'a donné un désaveu dont je ne suis pas encor content. Engagez je vous en conjure par un mot de lettre, le Chevalier Daidie, à arracher de luy le désaveu le plus autentique.

Je demande aussi à mademoiselle Quinaut, un certificat des comédiens qui détruise la calomnie de St Hiacinte raportée dans le libelle de Desf. Tout cela est important à mon honneur.

J'écris au chevalier de Mouhi de ne point faire imprimer mon mémoire.

Je ne feray rien sans vous consulter, et sans avoir attendu la décision de Mr le chancelier.

Je vous demande en grâce de faire parler fortement à mr de Maurepas par mr votre frère s'il le voit avant vous, afin que mr de Maurepas me recomande à mr Heraut.

Je vous conjure de songer que Mr de Frene est vivement sollicité par l'abbé Desf., et de luy faire tenir ma lettre par une maintierce.

Enfin je n'ay d'espérance qu'en vous. Mais au nom de Dieu envoyez copie de la lettre de Du Lyon à mr Heraut, et copie à moy. Cela m'est bien important. Mon cher ange gardien sub umbra alarum tuarum.

V.

Je songe que l'abbé Desf. qui a toute l'activité des scélérats et toute la chicane des normands a fait entendre à mr Heraut que ma lettre raportée dans le préservatif est un libelle. Mr Heraut ne songera peutêtre pas que c'est au contraire une très juste plainte contre un libelle.

Il seroit très bon que madame de Chambonin comme ma parente, le sr Mignot, l'abbé Moussinot, et plusieurs personnes comme témoins allassent ensemble à l'audiance de M. le chancelier et chez mr Heraut.

Qu'en pensez vous?

Un petit mot de réponse je vous en prie.