1739-02-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Il faut me les pardonner, toutes ces importunitez là.
C'est un des fardaux attachez à la charge d'ange gardien. Vous avez dû, mon respectable amy, recevoir un paquet par Tiriot contenant des remerciments, des prières, et une lettre de mr Dargenson.

Mr de Cailus m'écrit que Mr de Maurepas croit l'affaire portée au Chastelet; et qu'ainsi il a les mains liées; et moy je mande aujourduy sur le champ, qu'il n'en est rien, que j'ay obéi entièrement à vos sages conseils, et que si mr Heraut est chargé de l'affaire j'implore les bontez de mr de Maurepas, et la sollicitation de mr de Cailus. J'écris en conformité à mr de Maurepas; et je compte bien que mon ange gardien ou son frère dira quelque chose à mr de Maurepas.

Mais aussi ne me trompai-je point? l'affaire est elle renvoyée à mr Heraut? Je suis à cinquante lieues; les lettres se croisent; les nouvelles se détruisent l'une l'autre. Je passe les jours et les nuits à prendre des partis hasardez, à faire, à défaire et mon ennemy est victorieux dans Paris.

Mon cher ange gardien ne pui-je espérer qu'il soit forcé à donner un désaveu de ses calomnies qui sont prouvées, ne pouriez vous pas faire condamner au moins le libelle comme scandaleux sans nommer l'auteur, mr l'avocat général pouroit il s'en charger, la lettre de mr Desniau que j'attends et qui servira de désaveu de la part des avocats ne pourait elle pas servir à faire condamner le libelle? Je n'ay que des doutes à proposer, c'est à vous à décider. Tout ce que je sçai c'est que mon honneur m'engage à avoir raison de Desf. et de st Hiacinte.

Zulime se plaint bien plus que moy de tout ce malheureux procez. Elle dit que si son auteur reste dans cette affliction elle est découragée. Ranimez la fille et le père mon cher amy, rendez à Cirey Le repos; madame du Chastelet vous dit qu'elle vous aime de tout son cœur.

Mille respects à madame Dargental.

Songez je vous prie que j'ay envoyé mon mémoire à mr le chancelier, mais uniquement comme une espèce de requête. Je ne le feray imprimer que quand il le trouvera bon, et que vous le jugerez àpropos. Le chev. de Mouhi qui est un homme d'un zèle un peu ardent s'empressoit de l'imprimer. Je luy ay écrit fortement de n'en rien faire. Je voudrais que mon mémoire pût paraitre avec la satisfaction qui me seroit procurée, et qui en paraîtrait la suitte. Mais cela se peut il?

Voulez vous permettre que je vous envoye Berger les jours de poste? Il vous soulagera du fardau d'écrire trop souvent, il m'instruira de vos ordres, il fera ce que vous ordonerez. Il est très sage.

Me de Chambonin doit vous instruire de mes démarches. Elle doit comme ma parente se trouver à l'audiance de M. le chancelier avec Mignot, et même Tiriot. Dites à ce Tiriot je vous prie qu'il fasse tout ce que madame de Chambonin luy dira, comme je fais tout ce que vous me dites. Adieu. J'ay le cœur percé de tout cela, mais aussi il est pénétré de tendresse et de reconnaissance pour vous.

V.

L'abbé D'Olivet doit vous avoir envoyé le commencement de L'essay sur Louis 14. Ne vous effrayez point de l'article de Rome, on le corrigera, il sera très décent sans rien perdre de sa vérité.

Donnez vos ordres à Zulime.

Apropos l'abbé d'Olivet qui a vu mon mémoire, me ditIl est écrit avec une simplicité meilleure en pareil cas que de L'oratoire.

Voulez vous cette lettre à m. l'avocat général?