ce 19 et 20 [February 1739]
Mon cher ange gardien, vous me connaissez.
Les gens à poème épique, et à Elémens de Neuton sont des gens opiniâtres. Je demanderay justice des calomnies de Desfontaines jusqu'au dernier soupir et ce même caractère d'esprit vous assure je croi, de ma tendre et éternelle reconnaissance.
Jettez donc un peu les yeux je vous en conjure sur tout cecy et allons par ordre.
1º n'ayant rien à craindre d'aucune récrimination, cependant j'insiste qu'on commence le procez par une requête présentée au nom des gens de lettres; qu'ensuitte mes parents en présentent une au nom de ma famille outragée. Sauf à moy à m'y joindre s'il est nécessaire.
2º j'espérois que sans forme de procez et indépendamment du châtiment que le magistrat de la police peut et doit infliger, à l'abbé Desfontaines, je pourois obtenir un désaveu des calomnies de ce scélérat, désaveu qui m'est nécessaire, désaveu qu'on ne peut refuser aux preuves que j'ay raportées, c'est à dire à la lettre même de Desfontaines au sortir de Bissetre, à la lettre de madame de Berniere, à celles de Tiriot.
3º pour parvenir pleinement soità ce désaveu, soit même à la punition de Desfontaines, il est de toute nécessité que Tiriot confirme d'abord à m. Heraut la lettre du 16 aoust 1726, que madame de Chambonin a vue, et que je crains d'avoir égarée; cette lettre contient en termes formels que l'abbé Desfontaines au sortir de Bissetre fit un libelle contre moy intitulé apologie, qu'il fit imprimer une édition scandaleuse et satirique de la Henriade à Evreux.
Ayez donc la bonté mon respectable amy d'envoyer chercher Tiriot, de luy dire, j'ay vu la lettre, elle est déposée. Courez chez mr Heraut confirmer ce témoignage soit à luy, soit à mr Deon. C'est le seul moyen de regagner le prince royal et me du Chastelet, et rien ne vous fera plus d'honneur, qu'une telle démarche pour votre ancien amy. Alors il aura un titre pour écrire les choses les plus fortes en votre faveur au p. royal. Il faut mon cher amy luy parler de ce ton, car le P. Royal, très mécontent de sa maudite lettre ostensible qu'il a eu la sottise de luy envoyer, le P. royal qui m'aime comme vous m'aimez, luy a écrit la lettre du monde la plus dure. Faites luy donc sentir son tort d'avoir écrit cette malheureuse lettre ostensible si insultante pour me Du Ch. et pour moy, si dangereuse en ce qu'elle me charge en quelque façon du préservatif, si maligne en ce qu'elle désavoue la lettre du 16 aoust 1726, etc.
3º il est encor indispensable de solliciter puissament pour obtenir, et cette punition et ce désaveu. J'ay écrit à mr de Maurepas. Voicy un nouveau placet pour luy, pour mr le chancelier, pour mr le cardinal même, pour mr Heraut. J'en envoye copie à Barjac. Mr votre frère ne pouroit il pas presser fortement mr de Maurepas? et mrs Daguessau ne presseront ils point Mr le chancelier?
4º vous savez que monsieur Heraut m'avoit promis de me rendre ma lettre que m'avoit extorquée ce fripon de Jore et que j'avois bien achetée. Cependant loin de me la rendre il la garde; et il protège Jore . . . . Je ne peux cependant croire que M. Heraut refuse de me rendre justice quand M. de Maurepas et M. le chancelier l'en presseront à un certain point.
5º si m. le chancelier a renvoyé à m. Heraut n'étoit ce pas la juger sommairement? Car si l'affaire est traitée devant luy criminellement et dans ses formes judiciaires qu'ai-je à gagner? J'aimerois baucoup mieux la justice ordinaire.
6º enfin j'en reviens toujours là. Point de preuves contre moy, sinon que j'ay écrit la lettre qui est dans le préservatif. Or cette lettre que dit elle? que Desfontaines a été tiré de Bissetre par moy, et qu'il m'a payé d'ingratitude. Encor une fois cette lettre doit être regardée comme ma première requête contre Desf. D'ailleurs rien de prouvé contre moy, et tout démontré contre luy. Enfin j'insiste sur le désaveu de ses calomnies et j'attends tout des bontez de mon cher ange gardien.
6º le chevalier de Mouhi est trop ardent, mais il est zélé, il avoue le préservatif. Il a seul ameuté ceux qui ont signé; il faut l'encourager et le contenir.
7º il avoit reçu mon mémoire pour le montrer et le consulter, et il me dit qu'il l'a fait vite imprimer. J'ignore s'il l'a imprimé en effet, ou s'il veut s'en assurer par la l'impression, en disant que la chose est faite. Mais dans l'un et dans l'autre cas, assurez le de L'indignation de mr le chancelier et de M. Dargenson s'il en laisse transpirer un seul exemplaire. Dites luy d'ailleurs que je le corrige baucoup, et que c'est me perdre, de le publier dans l'état où il est.
Je serois bien honteux de tant d'importunitez si vous n'étiez pas mr Dargental.
Adieu, mon cœur ne peut suffire à mes sentiments pour vous et à ma tendre reconnaissance.