1739-02-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à René Hérault.

Monsieur,

Je ne peux empécher que plusieurs gens de lettres vous présentent des requêtes contre l'abbé Desfontaines, aussi bien que tout le public.
Mes parents peuvent s'y joindre pour l'honneur de toute une famille outragée. Mais moy monsieur qui regarde plus ma réputation que ma vangeance, j'ay l'honneur de vous suplier instament de me faire acorder un désaveu des calomnies du sr Desfontaines, qui soit aussi autentique que son libelle. Vous avez entre les mains monsieur la lettre de madame de Berniere, celle du sr Tiriot, celle du libraire Praut, le certificat de Dumoulin, la lettre du sr du Lyon, enfin celle de l'abbé Desfontaines même écritte au sortir de Bissetre. Pui-je moins demander monsieur que Le désaveu de ces calomnies si horribles et si prouvées, et quand vous êtes prest à punir le coupable, n'aurez vous pas quelque bonté pour le citoyen offensé? Je parle à l'homme autant qu'au juge, je parle à mon protecteur aussi bien qu'au magistrat. Songez que le moment où j'ay servi l'abbé Desfontaines est L'époque de ses fureurs contre moy. Voyez la lettre du sr du Lyon, voyez celle de Tiriot du 16 aoust 1726, dans la quelle il m'avertit que Desfontaines pour récompense a fait contre moy un libelle; considérez monsieur je vous en conjure qu'il m'a persécuté, calomnié pendant dix années, écoutez la voix publique, songez qu'un écrit intitulé le préservatif que je n'ay ny imprimé, ny fait, a été le prétexte de son libelle, qu'il a fait et imprimé, distribué, et avoué publiquement. Je sçai ses récriminations; mais, monsieur, esce un crime de se plaindre d'un ingrat et d'un calomniateur? Je porte à votre tribunal les mêmes plaintes qu'à tous les honnêtes gens. Esce à luy à m'acuser d'avoir écrit il y a deux ans qu'en effet il avoit payé mes bienfaits d'un libelle? Ouy monsieur c'est précisément de quoy je demande vangeance, je la demande, et de ce libelle fait en 1726, et de vingt autres, et surtout du dernier. Je la demande avec tous les gens de lettres, avec tout le public qui vous en aura obligation, mais cette vangeance n'est autre chose qu'un désaveu nécessaire à mon honneur. Il ne m'apartient pas de vous prier de punir, mais je dois vous suplier de faire cesser un si horrible scandale.

Je vous demande ce désaveu monsieur et par cette lettre et par ce placet cy joint.

Je seray toute ma vie avec respect et reconnaissance,

Monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire