1739-02-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon respectable amy je rougis, mais il faut que je vous importune.
Les lettres se croisent, on prend des partis que L'événement imprévu fait changer, on donne un ordre à Paris, il est mal exécuté, on ne s'entend point, tout se confond. Deux jours de ma présence mettroient tout en règle. Mais enfin je suis à Cirey. Te rogamus audi nos.

Premièrement vous saurez que mr Desniau, bâtonier des avocats, a fait courir des billets dans tous les bancs des avocats, et est prest de donner une espèce de certificat par lettres, qu'aucun avocat n'est assez lâche et assez coquin pour avoir fait un tel libelle. Je vous prie de faire encourager ce mr Desniau.

2º j'insiste fortement sur le commencement d'un procez criminel, qu'on poursuivra si on a bau jeu. Qu'on n'intente d'abord que contre les distributeurs. J'ay des preuves assez fortes pour le commencer. Je ne crains rien d'aucune récrimination. Je ne suis point auteur du préservatif; j'en ay la preuve par écrit. On pouroit sous main réveiller l'affaire des lettres ph. mais il n'y a nulle preuve, et si Tiriot, qui connait un substitut du procureur ge͞nal, veut faire une procédure en l'air par Ballot, le décret sera purgé en 15 jours.

3º indépendamment de tout cela, j'ay donc envoyé mon mémoire manuscript à mr le chancelier, je luy fais présenter, et le placet signé par 5 gens de lettres, et celuy de mon neveu, et la lettre de me de Berniere.

4º comme il faut se servir de tous les moyens qui peuvent s'entreaider sans pouvoir s'entrenuire si mr le premier président pouvoit sur la requête à luy présentée, et sur le certificat du bâtonier faire brûler le libelle, ce seroit une chose bien favorable.

6º Je ne sçai si je dois faire paraitre mon mémoire ou isolé ou acompagné de quelques ouvrages fugitifs, mais je crois qu'il faut qu'il paraisse, car je ne peux sortir de ce principe, que si l'on doit laisser tomber les injures, il faut relever les faits. Je voudrois le mettre à la suitte de la préface et du 1er chapitre de l'histoire de Louis 14, si cet ouvrage vous paroit sage. J'y ajouterois les épitres bien corrigées, une lettre à mr de Maupertuis, une dissertation sur les journaux. Je tâcherois que le recueil se fît lire.

7º ce que j'ay infiniment à cœur c'est le désaveu le plus autentique, et le plus favorable de la part de st Hiacinte. Je crois qu'il ne sera pas difficile à obtenir.

8º madame du Chastelet vous prie très instament de parler ferme à Tiriot. Votre douceur et votre bonté le gâtent. Il s'imagine que vous l'aprouvez, et il a l'insolence d'écrire qu'il n'a rien fait que de votre aveu. Comptez que c'est une âme de boue, et que vous la tournerez en pressant fort. Madame du Chast. ne luy pardonera jamais d'avoir fait courir cette malheureuse lettre ostensible qu'elle n'avoit jamais demandée, lettre ridicule de tout point, dans laquelle il dit qu'il ne se souvient pas du temps où l. b. Desf. luy montra le libelle ancien intitulé apologie. Il devoit pourtant se souvenir que c'étoit en 1725, et qu'il me l'avoit écrit vingt fois dans les termes les plus forts.

Ce n'est pas tout, il fait entendre que j'ay part au préservatif, il fait le petit médiateur, le petit ministre, luy qui m'ayant tant d'obligations, et attaché par mes bienfaits et par ses fautes auroit dû s'élever contre Des Fontaines avec plus de force que moy même. Il garde avec moy le silence, on luy écrit 20 lettres de Cirey, point de réponse. On luy demande si selon sa louable coutume d'envoyer au prince de Prusse tout ce qui se fait contre moy, il ne luy a point envoyé le mémoire. Il ne répond rien. Enfin il mande qu'il a envoyé au prince sa belle lettre à madame du Chastelet. Je vous avoue que ce procédé lâche, m'est plus sensible que celuy de Desfontaines. Encor une fois madame du Chastelet vous demande en grâce de représenter à Tiriot ses torts, car après tout il peut servir dans cette affaire. Nous le connaissons bien. Si on luy laisse entendre qu'il a raison, il demeurera dans son indolence, si on le convainc de ses fautes, il les réparera, et sûrement il fera ce que vous voudrez. Mais encor une fois nous vous suplions de luy parler ferme.

Ie suis bien assurément de cet avis. N͞s n'auons de recours qu'en v͞s mon cher ami, donnés n͞s vos conseils come à Tiriot. I'espère que votre amitié m'épargnera une séparation qui me coûteroit bien des larmes. Rangez Tiriot à son devoir, aimés n͞s toujours et épargnés n͞s le chagrin de n͞s quitter. Votre amitié peut tout.