1739-01-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher et respectable amy je vous accable de mes lettres et de mes affaires.
Je demanderois pardon à un autre cœur que Le vôtre.

Madame Duch. reçoit votre lettre du 28. Vous n'aviez point reçu la pièce. Cependant elle étoit partie le 23 à minuit, aparemment que messieurs des postes ont voulu se donner le plaisir de la lecture.

L'effort singulier, et peutêtre malheureux que j'ay fait de la composer en 8 jours n'est dû qu'aux conseils que vous me donniez de confondre tant de Calomnies par quelque ouvrage intéressant. Je suis très aise d'avoir du temps jusqu'à paques. Dites moy vos avis, et je corrigeray en 8 semaines les fautes de 8 jours. Il y a une ressemblance avec Bajazet je le sçay bien, mais sans cela point de pièce. Je n'ai rien pris, j'ay trouvé ma situation dans mon sujet, j'ay été inspiré, je ne suis point plagiaire.

Je conçois bien que Le libelle n'excite que le mépris et l'indignation des honnêtes gens, et surtout de ceux qui sont au fait de ces calomnies. Mais, il y a mille gens de lettres, il y a des étrangers, sur qui ce libelle fait impression. Il est plein de faits, et ces faits seront crus s'ils ne sont pas réfutez. Je suppose que je voulusse être d'une académie, fut ce de celle de Petersbourg. Il est sûr que ce libelle laissé sans réponse m'en fermeroit l'entrée. Il est clair que le sr Guiot de Merville, et les autres partisans de Roussau font et feront valoir ces impostures. On imprime actuellement en Hollande le libelle de ce misérable. Il s'en est vendu 2000 exemplaires en 15 jours. Encor un coup, il ne me déshonorera pas dans votre esprit mais joint à vingt autres libelles de cette espèce, il me flétrira dans la postérité, et sera une tache dans ma famille.

J'ay apris par un amy que j'ay en Hollande, que Desfontaines et Jore sont ceux qui suscitent mes libraires contre moy. Il arrivera que mes libraires même imprimeront ce libelle à la tête de mes œuvres, pour se vanger de ce que je leur ay retiré mes bienfaits. Ainsi tandis que je resteray tranquile, mes ennemis me diffameront dans l'Europe.

N'esce donc pas pour moy le devoir le plus sacré de repousser et de confondre, quand je le peux, des calomnies si flétrissantes, et qui seroient acréditées par mon silence.

Non seulement j'ay besoin d'un mémoire, sage, démonstratif et touchant, auprès des trois quarts des gens de lettres; mais il me faut outre cela, un nombre considérable d'attestations par écrit, qui démentent toutes ces impostures. J'en veux de madame de Berniere, de Praut, de Tiriot, de quiconque peut être à portée de témoigner contre le libelle. Ces désaveus ne seront point imprimez, mais j'en feray faire des copies; je les tiendray prêts, comme une deffence sûre en cas d'attaque, et même comme des pièces qui peuvent servir au procez.

Le procez criminel indépendant de ce mémoire et de ces attestations qui peuvent y servir, et ne peuvent y nuire, m'est d'une nécessité absolue, et je veux et je dois m'y prendre par tous les sens pour attérer une bonne fois pour tout cette hidre. Je n'ay rien à craindre d'aucune récrimination d'aucune espèce. Je n'ay nulle part au préservatif, et les lettres ph. imprimées en Angleterre par Tiriot qui Déposera que je n'en suis pas l'auteur ne me font point de peine. En un mot il est toujours bon de commencer par mettre en cause ceux qui ont vendu le libelle — et c'est ce qu'on va faire.

Il est assurément très important que dans ces circonstances mr l'ambassadeur de Hollande écrive fortement, — et menace en général les Le Det de son indignation s'ils manquent à leur devoir.

C'est une nouvelle obligation que j'auray à mon cher ange gardien à qui je dois tout. Voylà mon respectable amy tous mes sentiments et toute ma conduitte que je soumets à vos lumières et à vos bontez.

Madame de Chambonin doit vous voir avec un gros chevreuil qu'elle vous aporte de Cirey. Je serais venu avec le chevreuil mais je suis enchanté, et je ne sors point de mon palais. Cette dame doit voir me de Berniere, et tous ceux dont j'exige un petit mot d'écrit dont je ne feray aucun usage public. Je vous prie d'encourager madame de Berniere.

Je vais écrire à mr le ch. de Brassac, mais j'ai déjà envoyer à mr Dargenson mon mémoire.

J'écrirai à mr de Frene. Que faites vous de mes lettres à mr le chancelier et à mr L'avocat général?

Voulez vous permettre que j'en joigne une icy pour mr de Maynieres?

Voicy la lettre de madame en faveur de Linant.