1736-11-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste de Boyer, marquis d'Argens.

J'ai Reçu, Monsieur, votre lettre par la voye de Nancy, mais comme elle n'étoit point dattée je ne peux sçavoir si cette Route est plus courte que l'autre et si votre paquet est venu en droiture.
J'ai écrit à M. Le Prévost et j'ai recommandé Le Det de le prendre pour Reviseur de la Henriade et surtout de la philosophie de Newton que j'ai mise à la portée du Public et que je ferai imprimer incéssamment.

Je verrai avec grand plaisir le soufflet imprimé que vous allez donner à ce misérable de Bruxelles. Il faut envoyer des Copies de tout cela aux connoissances qu'il dans cette ville où il est détesté comme ailleurs. Voicy un petit rafraîchissement pour ce Maraut et pour son associé l'abbé Desfontaines. Cet abbé est un Exjesuite à qui je sauvai la greve en 1723 et que je tirai de Bicêtre où il étoit renfermé pour avoir corrompu, ne vous en déplaise, des Ramoneurs de cheminée qu'il avoit pris pour des amours à Cause de leur fer et de leur Bandeau. Enfin il me dut la vie et L'honneur; c'est un fait public, et il est aussi public qu'au sortir de Bicêtre, s'étant retiré chez le président de Berniere où je lui avois procuré un azile, il fit pour Remerciment un méchant libelle contre moy. Il vint depuis m'en demander pardon à genoux & pour pénitence il traduisit un Essay sur la poésie épique que j'avois composé en anglois. Je Corrigeai toutes les fautes de sa traduction, je souffris qu'on imprimât son ouvrage à la suite de la Henriade. Enfin pour nouveau prix de mes Bontés il se Ligue contre moy avec Rousseau. Voilà mes Ennemis. Votre estime et votre amitié sont une Réponse bien forte à leurs indignes attaques.

Dans ma dernière Lettre je vous demandois, Monsieur, si vous êtes l'auteur du Mentor cavalier qui se débite à Paris sous votre nom. J'aurois sur cela plusieurs choses très importances à vous dire.

Vous pouriez envoyer à Nancy à Madame Du Chastelet vos ouvrages, il y a des voitures d'Amsterdam à Nancy, le tout arriveroit à bon port sous le Couvert de Madame la Comtesse de Bauvau. Mais si vous vouliez vous même venir faire un petit voyage à Cirey incognito, vous y trouveriez des personnes qui sont pleins d'estime pour vous et qui feroient de leur mieux pour vous bien recevoir.

Ne pourriéz vous pas faire insérer dans quelques gazettes que M. le duc d'Aremberg a chassé Rousseau pour punir l'insolence que ce misérable a eue de le citer pour garant des impostures répandues dans son dernier libelle? Ce n'est pas tout. Il sera poursuivi en justice à Bruxelles. C'est rendre service à tous les honnêtes gens que de contribuer à la punition d'un scélérat.

Adieu, Mr, je m'intéresserai toujours à votre gloire & à votre bonheur. Je vous suis attaché tendrement.

P. S. Vous pouvez insérer l'ode dans vos lettres. Je vous Enverrai insessament quelque chose qui n'y cadrera pas mal.