1738-06-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Mon cher ami, vous passez donc une partie de vos beaux jours à la campagne, et vous n'aurez pas plus daigné assister à une noce bourgeoise, que vous ne daignez aller voir jouer des pièces ennuyeuses à la comédie.
Assemblées de parents, quolibets de noces, plates plaisanteries, contes lubriques, qui font rougir la mariée, et pincer les lèvres aux bégueules, grand bruit, propos interrompus, grande et mauvaise chère, ricanements sans avoir envie de rire, lourds baisers donnés lourdement, petites filles regardant tout du coin de l'œil, voilà les noces de la rue des deux Boules, et la rue des deux Boules est partout. Cependant voilà ma nièce, votre amie, bien établie, et dans l'espérance de venir manger à Paris un bien honnête. Si elle ne vous aime pas de tout son cœur, je lui donne ma sainte malédiction.

Quand aurai je la démonstration de Rameau contre Newton? Lit on le livre de Maupertuis? C'est un chef d'œuvre. Il a eu raison de ne rien vouloir des rois. Regum œquabat opes meritis. Les Français ont ils la tête assez rassise pour lire ce livre excellent?

Un de mes amis, qui n'est pas un sot, sachant que le sodomite Desfontaines avait osé blasphémer l'attraction, m'a envoyé ce petit correctif:

Pour l'amour anti-physique
Desfontaines flagellé
A, dit on, fort mal parlé
Du système newtonique.
Il a pris tout à rebours
La vérité la plus pure;
Et ses erreurs sont toujours
Des péchés contre nature.

Pour moi j'avoue que j'aime beaucoup mieux cet ancien conte que vous aviez, ce me semble, perdu à Paris, et que je viens de retrouver dans mes paperasses.

L'abbe Desfontaines et le ramoneur, ou le ramoneur et l'abbé
Desfontaines, conte par feu m. de la Faye
Un ramoneur à face basanée,
Le fer en main, les yeux ceints d'un bandeau,
S'allait glissant dans une cheminée,
Quand de Sodome un antique bedeau,
Qui pour l'amour prenait ce jouvenceau,
Vint endosser son échine inclinée.
L'amour cria; le quartier accourut.
On verbalise, et Desfontaine en rut,
Est encagé dans le clos de bicêtre.
On vous le lie, on le fait dépouiller.
Un bras nerveux se complaît d'étriller
Le lourd fessier du sodomite prêtre.
Filles riaient, et le cuistre écorché
Criait: monsieur, pour dieu soyez touché,
Lisez de grâce et mes vers et ma prose.
Le fesseur lut, et soudain plus fâché,
Du renégat il redoubla la dose,
Vingt coups de fouet pour son vilain péché
Et trente en sus pour l'ennui qu'il nous cause.

Pour la consolation des gens de bien, mon cher ami, vous devriez faire tenir cela au sieur Guyot afin qu'il en dise son avis dans quelques observations. Je me recommande à vos charitables soins. Mais passons à d'autres articles de littérature honnête. J'ai été si mécontent de la fautive et absurde édition des Eléments de Newton, et je crois vous avoir dit qu'elle fourmille de tant d'énormes fautes, que mon avertissement pour les journaux est devenu fort inutile. J'en ai écrit à Trublet, que je connais un peu, et je lui ai dit que je le priais seulement qu'on décriât l'édition et non moi. Le petit journaliste ne m'a pas encore répondu; vous devriez le relever un peu de sentinelle; et sur ce je vous embrasse tendrement.