1760-04-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à François de Chennevières.

Il est bien vrai, mon cher ami, que je ne suis pas mort, mais je ne puis pas non plus assurer absolument que je sois en vie.
Je suis tout juste dans un honnête milieu et la retraite contribue à soutenir ma machine chancelante. Il faut qu'un vieillard malade soit entièrement à lui, pour peu qu'il soit gêné, il est mort. Mais tant que je respirerai un peu vous aurez un ami aussi inutile qu'attaché sur les bords fleuris du lac de Genève. Tout ce que vous me dites de mr le duc de Bourgogne fait grand plaisir à un cœur français. J'attends avec impatience la paix ou quelques victoires; et je vous avoue que j'aimerais encore mieux pour notre nation des lauriers que des olives. Je ne puis souffrir les ricanements des étrangers quand ils parlent de flottes et d'armées; j'ai fait vœu de n'aller habiter le château de Ferney que quand je pourrai y faire la dédicace par un feu de joie. C'est par parenthèse un fort joli château. Colonnades, pilastres, péristyle, tout le fin de l'architecture s'y trouve, mais je fais encore plus de cas des blés et des prairies; nous sommes de l'âge d'or dans notre petit coin du monde où toutes les délices vous embrassent.