à Cirey, ce 11 novembre 1738
Comme Anglais, comme auteur d'Aben-saïd, comme amateur des arts et de la vérité, comme ayant châtié l'abbé Desfontaines, vous avez, monsieur, mille droits à mon amitié et à mon estime.
Je ne doute pas que vous n'ayez encore fortifié votre génie par l'étude d'une langue dans laquelle est écrit ce qu'on a jamais pensé de plus fort. Vous avez dû sentir votre âme plus libre et plus à l'aise à Londres; c'est là que la nature étale des beautés mâles qui ne doivent rien à l'art. Les grâces, l'exactitude, la douceur, la finesse, sont plus le partage des Français.
Je crois qu'un Anglais qui a bien vu la France, et un Français qui a bien vu l'Angleterre, en valent mieux l'un et l'autre. Vous êtes fait, monsieur, pour joindre le mérite du pays d'où vous venez à celui de votre patrie. Comme vous me feriez un vrai plaisir de m'envoyer les étrivières rimées que vous avez données à ce misérable abbé Desfontaines, également haï et méprisé des Français et des Anglais!
Je le crois bien; car il y a quelques ressources, après tout, pour les blessures de son derrière, et il n'y en a point contre une bonne épigramme de votre main. Si vous aviez fait quelque chose de nouveau et que vous voulussiez l'envoyer à Cirey, je m'y intéresse presque autant que vous même. J'aime les belles lettres avec ardeur. Personne n'est plus en état que vous d'empêcher qu'elles ne tombent en France. Il ne m'appartient pas de vous exhorter à travailler; mais je peux au moins vous dire combien je souhaite de joindre de nouveaux applaudissements à ceux que je vous ai déjà donnés.
Je suis, avec bien de l'estime et de l'amitié, votre, etc.