Si ma fortune me le permettoit, Monsieur, j'irois exprès à Bruxelles pour vous voir et vous parler.
Je porte envie à deux de mes amis qui depuis peu ont eu cet avantage. Pourrois je au moins mériter une Lettre de vous, qui m'assureroit que j'ay l'honneur d'en être connu? Je voudrois de plus que vous voulussiez bien me permettre de vous envoyer quelques uns de mes derniers Ouvrages. Je donne au Public toutes les semaines une espèce de petit Journal sous le titre d'Observations sur les Ecrits modernes, où sans me donner pour un Apôtre d'Apollon je ne laisse pas de prêcher un peu en faveur du bon goût, et de juger assez librement sauf appel. Je souhaitte avec ardeur, que vous voyez cet ouvrage, Monsieur, non pour recevoir de vous des louanges; les vôtres sont d'un trop grand prix; mais pour recevoir plutôt de vos avis et de vos leçons.
Puisque j'ai l'avantage d'être votre Contemporain n'y aura t'il que vous, de toutes les personnes illustres dans la Littérature, avec qui je ne pourrai avoir aucune liaison? Mon amour pour Horace m'attache à vous depuis bien des années. Un Etranger du plus grand mérite, c'est le feu Evêque de Rochester, m'a dit plusieurs fois en parlant de vous, scriptor ille sapit antiquitatem.Il lisoit vos œuvres et les goûtoit plus que tout ce qui a jamais été écrit par nos Poëtes françois. C'étoit l'homme du monde qui, sans aucun pédantisme, avoit de meilleurs principes sur la façon d'écrire en prose et en vers; il ne pouvoit s'exprimer en françois, et cependant il connoissoit toutes les finesses de notre Langue. Ne vous étonnez pas, s'il vous goûtoit.
J'ay eu de grandes querelles à votre sujet, Monsieur, avec Mr de Voltaire, qui est mon ami depuis bien des années. Je lui ai fait cent reproches sur sa conduite à votre égard. Il fait faire actuellemt une édition de toutes ses œuvres chez Le Det à Amsterdam. Je voudrois bien qu'il n'y mît point la pièce intitulée La médisance où vous êtes très maltraité, co͞e vous pouvez le sçavoir. Mais vos épigrammes contre lui, qui sont dans un recueil nouveau de vos poésies, l'ont bien aigri. Il faut convenir qu'il a bien de L'esprit; mais il a fait bien des choses dont il devroit se repentir. Il m'a dit une fois que c'étoit L'Aunay à qui il falloit s'en prendre, et que c'étoit lui qui en publiant une Lettre que vous lui aviez écrite, avoit fait tout le mal. Je lui ait dit plusieurs fois, Virgile et Horace étoient ils ennemis? Boileau, Racine, Moliere, la Fontaine &c. ont ils écrit l'un contre l'autre? M. R. et vous, êtes les poètes les plus illustres de nôtre siècle, et vous vous déchirez l'un l'autre. Cela déshonore la littérature. C'est vous qui êtes l'aggresseur, une lettre manuscrite doit être comptée pour rien. Enfin, Monsieur, je me suis mis dans l'esprit de vous réconcilier, comme ce Négotiant de Rouen qui fit la dernière paix. Je voudrois bien être Le Menager entre vous deux, sans avoir ce qu'il faut pour mériter l'honnr d'une telle négociation. Pour peu que vous fussiez bien disposé, je me flatte de gagner Mr de V. qui m'éccrit toutes les semaines de Cirey en Champagne, où il est.
Je suis et serai touiours Monsieur
Votre zélé partisan et sincère admirateur
L'abbé Desfontaines
à Paris rue des Marais le 20 9bre 1735