aux Délices 1er septbre 1758
Mon cher et ancien ami je reviens dans mes chères Délices, après un assez long voiage à la cour palatine.
Je trouve en arrivant vos jolis vers dans les quels vous ne me paraissez pas trop content de Paris; et je crois fermement que vous avez raison. Mais avez vous dans votre Launay un peu de société? Il me semble que la retraitte n'est bonne qu'avec bonne compagnie.
Ce n'est pas des sages comme vous et moy que je parle. Je suis bien sûr que l'ennuy n'aproche pas plus de votre Launay que de mes Délices. Je prends acte surtout que je n'ay pas quitté mes pénates champêtres par inquiétude pour aller chez l'Electeur palatin par vanité. Je vous avouerai que j'ay mis dans cette cour et entre les mains de L'Electeur une partie de mon bien qu'on pille presque partout ailleurs. Il a bien voulu avoir la bonté de faire avec moy un petit traitté qui me met en sûreté moy et les miens pour le reste de ma vie. Le bon Horace dit:
Il aurait dû ajouter det amicos, mais vous me direz que c'est notre afaire et non celle du ciel.
C'est l'amitié de mes nièces qui fait de près le bonheur de ma vie, c'est la vôtre qui le fait de loin. Excepto quod non simul essem, cetera lœtus. Je vous ay bien souvent regretté et votre souvenir m'a consolé. Vous n'êtes pas homme à franchir les Alpes et à me venir voir sur les bords de mon lac comme madame du Bocage. Vous vous contentez de ceuillir les fleurs d'Anacreon dans vos jardins. Vous n'allez pas chercher comme elle la couronne du Tasse au capitole. Satis beatus unicis Sabinis. Adieu mon cher et ancien ami. Mes deux nièces, toutte ma famille vous font les plus tendres compliments.
V.
Eh bien les anglais ont donc quitté vos côtes normandes nonobstant clameur de haro. Est il vrai qu'ils ont pris baucoup de canons, de vaches, de filles, et d'argent? Le Canada va donc être entièrement perdu, le commerce ruiné, la marine anéantie, tout notre argent enterré en Allemagne. Je vous trouve très heureux mon cher ami de posséder la terre de Launay. Je n'ay aux Délices que l'agréable, et vous possédez l'agréable et l'utile.