à Launay ce 15 janvier 1765
Quelque mal qu'on dise de ce jour de l'an, illustre et cher ami, j'aime ce jour de l'an: il reserre les amitiés d'un nouveau noeud, il rassemble et réünit les familles; les absens s'écrivent, ceux qui sont présens s'embrassent: c'est la feste de la société.
Je ne retrancheray jamais de mon calendrier un jour, où il m'est permis de vous dire, sans périphrase, que je vous aime de tout mon coeur.
Je verray toujours, avec plaisir, arriver la feste des Rois; cette solemnité me divertit, la joye du Peuple m'en inspire; trois fois heureux ceux qui peuvent la procurer. . . . Ces réjouissances fondées sur l'indépendance et le Plaisir sont bien chères aux hommes, et sont de la plus haute antiquité; sans chercher chés les Egiptiens, les Grecs, les Romains avoient leurs saturnales. Je vois qu'Horace dans la 4e ode livre 1er dit à son ami Lisantus,
Nous trouvons, dans nos villages, cet usage ancien; il y a fort peu d'années nos Paysans invoquoient Apollon, en tirant le gasteau des Rois et disoient Phoebe Domine, et c'etoit le plus souvent pour […], Pour le bon dieu, pour la bonne vierge, pour le diable, pour mon bon père, pour ma bonne mère, pour Colas, pour ma rate &c. le […] qui se trouvoit dans un des morceaux de la galette, étoit la simple marque de cette Election pacifique; je ne sais ce qui arrivoit quand le sort choisissoit le diable, mais quand c'étoit un des convives, on luy donnoit la place d'honneur, et tous crioient, Le Roy boit, dès qu'il aprochoit son gobelet de Terre de ses lèvres.
Nos Paysans, ny mesme mr. le curé, qui le plus souvent étoit de la partie, ne savoient vraysemblablement pas le latin et n'avoient conservé que par Tradition cette antique invocation.
Cette dévotion, en faveur de la liberté et du Plaisir, est bien dans vos principes: vous avés toujours presché l'humanité &c.