à Ferney en Bourgogne par Genève 30 juin [1761]
Mon entreprise, mon cher maître, m'attache de plus en plus au grand Corneille.
Je l'aime autant que vous aimez Cicéron, et plût à dieu qu'il eût toujours parlé sa langue aussi purement, aussi noblement que Ciceron parlait la sienne. Vous avez un grand avantage sur moy. Cicéron n'a point fait de mauvais ouvrage, et Corneille en a trop fait, je ne dis pas d'indignes de luy, je dis d'absolument indignes du téâtre. Je suivrai donc votre sage conseil, je ne commenterai aucune de ses comédies, excepté le menteur, ny aucune des tragédies qui n'ont pu rester au téâtre. Ses beaux ouvrages en seront peutêtre plus prétieux, quand ils ne paraitront point avec ceux qui pouraient faire tort à sa gloire.
Vous mon cher maître qui partagez avec l'éloquent Pélisson l'honneur d'avoir fait l'histoire de l'académie avec autant de sagesse que de vérité, vous êtes plus à portée que personne de M'instruire si Chapelain n'a pas eu la plus grande part au jugement sur le Cid, jugement très équitable à mon avis, en plusieurs endroits, mais qui dans d'autres me parait, comme au public, un peu trop sévère. Si vous avez quelque anecdotte sur ce fameux procez, je vous prie de me la communiquer.
Je vous prie surtout d'assurer l'académie que si elle se plaint de mon insuffisance dans mes notes sur le Grand Corneille elle n'accusera pas mon orgueuil. Je fuirai ce ton décisif que prennent nos jeunes auteurs et qui ne me convient pas plus qu'à eux.
Où pourais-je trouver la lettre d'un nommé Claveret qui dit tant de mal du Cid, et celle de Balzac qui luy rend tant de justice? Ne pouriez vous point demander à M. l'abbé Caperonier tout ce qu'il a dans la bibliothèque du Roy? Je le rendrai fidèlement. On a déjà daigné m'envoyer des livres qui ne se trouvent que lâ, et je les ay rendus aussi bien conditionnez qu'on me les avait prétez. J'auray l'honneur d'en écrire à M. Caperonier, mais je me flatte qu'étant prévenu par vous, il en sera plu disposé à m'accorder ses secours.
Mr de Chammeville doit aimer les lettres puis qu'il permet que vos paquets passent sous son contreseing. Je ne doute pas qu'il ne trouve bon que son nom soit imprimé dans la liste des souscripteurs qui serviront à encourager les autres.
On rejouera bientôt Oreste. Je vous prierai de me dire si cette pièce sapit antiquitatem et ce que j'y dois corriger pour l'impression. Je ne ferai point tort à L'Electre de mr de Crébillon, et je me ferai un grand honneur de marcher après luy.
Ama me et Cornelium tuere et Corneliam.