aux Délices 1^er avril [1761]

A peine avai-je fait partir mes doléances qu'une lettre de mes anges du 25 mars est venue me consoler et m'encourager.
Sur le champ la rage du tripot m'a repris. J'ay déniché un vieil Oreste; et presto presto j'ay fait des points d'éguille à la reconnaissance d'Oreste et d'Electre, et à la mort de Clitemnestre; puis étant de sang froid j'ay écrit la pancarte du privilège, et la requête aux comédiens pour les rôles, et j'envoye le tout à mes chers anges, félicitant mon respectable ami de la guérison de ses deux yeux qui vont mieux que mes deux oreilles. M^r Dargental voit; et moy je n'entends guères. Surdité annonce décadence, mais la main va et grifone.

Vous saurez que M^r de Lauraguais a fait aussi son Oreste, et qu'il est juste qu'il soit joué sur le téâtre qu'il a embelli, mais il permet que je passe avant, pour luy faire bientôt place. Sa folie d'ètre représenté n'est pas une folie nécessaire; et la mienne l'est. On a eu l'injustice de me reprocher d'avoir traitté le même sujet que Crébillon mon maitre, comme si Euripide n'avait pas fait son Electre après celle de Sophocle. Euripide ne réussit pas comme Sophocle; mais enfin il fut joué; on ne luy fit pas un crime d'avoir travaillé sur le même sujet, on ne voulut pas le perdre auprès de madame de Pompadour. Mon Pammene ne vaut pas le Palamède de Crébillon, mais peut être ma Clitemnestre vaut mieux que la sienne, et c'est quelque chose d'avoir fait cinq actes sans amour, quand on est français. Si m^elle Duménil s'imagine que Clitemnestre n'est pas le premier rôle, elle se trompe, mais il faut que M^elle Clairon soit persuadée que le premier est Electre. Je mets le tout à l'ombre de vos ailes. Signalez vos bontez et votre crédit. Je sçais bien qu'on est tombé rudement sur Jean Jaques, mais ce petit valet de Diogene méritait encor pis. M^r de Chimenes et moy nous sommes pires que Bertrand et Raton. Je suis le Bertrand. Raton tire mes marons du feu. Il a amené d'ailleurs avec luy une espèce de secrétaire qui ayant transcrit l'épitre sur l'agriculture se hâta de l'envoyer, avant que mes paquets fussent faits. J'en ay grondé Raton. Vous devez avoir les prémices.

Je vous demande en grâce de vouloir bien m'envoyer Tancrede et l'appel sous l'enveloppe de m^r de Courteilles.

M^r le duc de la Valiere, tout grave auteur qu'il est m'a donc trompe. Voylà de la pâture pour les Frérons. Heureusement je connais des sermons tout aussi ridicules que le receuil des facéties, et j'en ferai usage pour l'édification du prochain. Pour l'amour de Dieu dittes moy ce que vous pensez de la paix. Pour moy je ne l'attends pas sitôt.

Est il bien vrai que l'abbé Coyer soit exilé et que son approbateur soit en prison? et pourquoy? qu'a t'on donc vu ou voulu voir dans l'histoire de Sobiesky qui puisse mériter cette sévérité? S'agit il de relligion? La fureur du fanatisme a t'elle pu être portée jusqu'à trouver partout des prétextes de persécution? Que diront nos pauvres philosophes! Dans quel pays de singes et de tigres êtes vous! Mes chers anges que ne pouvez vous être les anges exterminateurs des sots!