1773-02-13, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Bertrand continue à recevoir avec gratitude les marons que son cher Raton lui envoye, & ces marons sont distribués & croqués sur le champ, & dévorés même, par tous les Bertrands nos amis.
Ils espèrent beaucoup dans la nouvelle fournée de marons que Bertrand a proposée à Raton dans sa dernière lettre, & qui sera friable, si Bertrand s’y connoît.

Bertrand ne se contente pas de croquer les marons, et de remercier mille & mille fois Raton; il compatit de tout son cœur aux plaintes de Raton sur Griffon Valade; il en a dit hautement son avis, et il espère que Raton obtiendra justice.

Mais Bertrand prendra la liberté de faire une petite remontrance à Raton; Tous les Ratons & les Bertrands sont un peu fâchés pour Raton d’une certaine lettre, qui après tout pourroit bien être supposée, & que Raton a dit ou écrit à sa vieille poupée, au sujet de mlle de Rocourt. La vieille poupée a fait lire cette lettre en présence de la pauvre fille, qui est au désespoir. On accuse beaucoup Raton de l’avoir écrite, il auroit mieux fait sans doute de n’écrire à sa vieille poupée que ce qu’il veut bien que tout le monde sache; mais l’infâmie toute entière est sur le compte de la vieille poupée, que Raton s’obstine à caresser de la queue, lorsqu’il auroit si beau jeu pour la renverser. C’est un avis pour Raton, que Bertrand a cru devoir lui donner, afin que la vieille & infâme poupée n’abuse pas dorénavant de ses lettres pour jouir du plaisir de faire du mal, le seul que cette Putain ratatinée connoisse depuis long temps, & sur ce Bertrand baise les charmantes pattes de Raton.