A Paris ce 22 mars [1774]
Pulchrè, benè, rectè; Bertrand a reçu trois ou quatre paquets de marons qu'il a trouvés cuits très à propos & très croquans, mais il reste encore sous la cendre de très friands marons à tirer, que Bertrand recommande à la patte de Raton.
Il ne s'agit plus aujourd'hui de rétablir hautement et impudemment cette vermine malfaisante, comme l'appeloit il y a quatre ou cinq ans le Roi de Prusse dans les lettres qu'il écrivoit à Bertrand, ce même Roi qui depuis… et qui ne protège aujourd'hui cette canaille que pour faire une niche de page à des souverains plus sages que lui. Le projet actuel, comme Bertrand l'a dit à Raton, c'est d'établir une communauté de Prêtres, destinée à l'instruction de la jeunesse, qui tout Prêtres qu'ils seront, ne pourront étudier la Théologie ni diriger les séminaires; les jésuites pourront être associés ou du moins affiliésà cette communauté (car on ne s'explique pas clairement sur cet objet). Bien entendu que quand une fois ils y auront le pied, tout le corps suivra bientôt, et qu'ils sauront bien se faire rendre, et l'étude de la théologie, et la direction des séminaires; car tout ce qu'ils désirent, tout ce que veulent leurs amis, c'est de s'ouvrir un guichet de rentrée qui deviendra bientôt porte cochère. Il faut que Raton insiste sur ce danger, sur celui qui en résulteroit pour l'Etat où ces marauds mettroient le trouble plus que jamais, pour le Roi à qui ils ne pardonneront jamais d'avoir consenti à leur destruction, pour les ministres les plus attachés au Roi, comme mr le duc d'Aiguillon, qu'ils feront repentir, s'ils le peuvent, d'avoir consommé cette destruction sous son ministère. Le premier usage qu'ils feront de leur crédit sera de se venger, & il ne leur coûtera pas de mettre le feu pour cela aux quatre coins du Royaume. D'ailleurs à quoi bon cette communauté de Prêtres? Que fera t-elle de mieux que les universités, & que les autres communautés déjà occupées de l'éducation? Ce ne sont point des communautés nouvelles qu'il faudroit établir, il faudroit rendre plus utiles pour l'éducation les communautés qui s'en occupent, en réformant le plan de cette éducation qui en a tant de besoin, et en attachant aux universités plus d'argent et de considération. Il y a tant d'hommes de mérite qui sont sans fortune, et qui ne demanderoient pas mieux que de se livrer à ce travail, s'ils y trouvoient une existence honnête &c. &c. &c. Voilà, mon cher Raton, de bons marons de Lyon à cuire, sans compter ceux que Raton trouvera de lui même dans sa poche. Bertrand lui recommande avec instance cette nouvelle fournée. Peut être même pourroit il essayer un maron qui vaudroit mieux que tous les autres, c'est l'inconvénient de mettre la jeunesse entre les mains d'une communauté de Prêtre quelconques, ultramontains par Principe, et anti-citoyens par état. Mais ce maron demande un feu couvert, et une patte aussi adroite que celle de Raton, & sur ce Bertrand baise bien tendrement les chères pattes de Raton.