1733-07-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles François de Baynast, marquis de Septfontaines.

J'ai senti assurément plus de joie, monsieur, en lisant votre lettre que vous n'en avez eu en lisant le temple du goût.
Votre approbation est bien flatteuse pour moi, et votre amitié m'est encore plus sensible. Je vois avec un plaisir extrême que le temps a augmenté encore toutes les lumières de votre esprit, sans rien diminuer des sentiments de votre cœur. Quel saut nous avons fait, mon cher monsieur, de chez made Alain dans le Temple du goût! Assurément cette dame Alain ne se doutait pas qu'il y eût pareille église au monde.

Vous me paraissez être très initié aux mystères de ce temple: mais croiriez vous bien, monsieur, qu'il y a des schismes dans notre église, et qu'on m'a regardé, à Paris et à Versailles, comme un hérésiarque dangereux qui a eu l'insolence d’écrire contre les apôtres Voiture, Balzac, et Pélisson? On m'a reproché d'avoir osé dire que la chapelle de Versailles est trop longue et trop étroite; et enfin on m'a empêché de faire imprimer à Paris la véritable édition de ce petit ouvrage qu'on vient de publier en Hollande.

Ce que vous avez vu n'est qu'une petite esquisse assez mal croquée du tableau que j'ai fait un peu plus en grand. Je voudrais vous envoyer un exemplaire de la véritable édition d'Amsterdam, mais je n'ai pas encore eu le crédit d'en pouvoir faire venir pour moi. Dès qu'il m'en sera venu, je ne manquerai pas de vous en adresser un, avec un exemplaire d'une nouvelle édition de la Henriade qui vient de paraître. Je vous avoue que la Henriade est mon fils bien-aimé et que si vous avez quelques bontés pour lui, le père y sera bien sensible.

Adieu, mon cher camarade, mon ancien ami; je suis comblé de joie de ce que vous vous êtes souvenu de moi. Je vous embrasse de tout mon cœur et et suis bien véritablement &a.