1763-10-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Georges Noverre.

J'ai lu, monsieur, votre ouvrage de génie; mes remerciements égalent mon estime.
Votre titre n'annonce que la danse, et vous donnez de grandes lumières sur tous les arts. Votre style est aussi éloquent que vos ballets ont d'imagination. Vous me paraissez si supérieur dans votre genre que je ne suis point du tout étonné que vous ayez essuyé des dégoûts qui vous ont fait porter ailleurs vos talents. Vous êtes auprès d'un prince qui en sent tout le prix.

Une vieillesse très infirme m'a seule empêché d'être témoin de ces magnifiques fêtes que vous embellissez si singulièrement. Vous faites trop d'honneur à la Henriade de vouloir bien prendre le temple de l'amour pour un de vos sujets: vous ferez un tableau vivant de ce qui n'est chez moi qu'une faible esquisse. Je crois que votre mérite sera bien senti en Angleterre, parce qu'on y aime la nature. Mais où trouverez vous des acteurs capables d'exécuter vos idées? Vous êtes un Prométhée; il faut que vous formiez des hommes, et que vous les animiez.

J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments que vous méritez, etc., etc.