1762-02-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Humble réponse à L'édit de mes anges donné rue de la Sourdiere 16 février.

La créature V. fera ponctuellement tout ce que ses anges luy ont signifié.

Il enverra lettres, déclarations conformes, à leur sage et bénigne volonté; et ne fera pas comme le parlement de Bourgogne qui cesse ses fonctions parce qu'il croit qu'on luy a dit des injures.

Il n'attend que la pièce pour la faire repartir sur le champ avec force corrections. Il avise ses divins anges qu'on a plus étendu, plus circomstancié le meurtre de Cassandre, qui doit s'exécuter au sortir du temple, afin que nul ne soit surpris de voir que la pauvre Olimpie après avoir précédemment prié Cassandre de vider le temple, luy dise toutte effarée de n'en pas sortir. Si mes anges s'y sont mépris bien d'autres s'y méprendraient.

Quant au local, je ne vous entends point ou vous ne m'entendez pas; et dans l'un ou l'autre cas c'est ma faute. Peutêtre a t'on oublié dans la copie de marquer que le temple est fermé à la première scène du quatrième acte, et ouvert ensuitte. C'est aux pieds d'un autel et près d'une colonne que Cassandre trouve Olimpie; ils se parlent vers cet autel qui est dans le temple. Si les acteurs n'ont pas la voix assez forte pour se faire entendre de l'intérieur de ce temple ce n'est pas ma faute. S'ils avancent un peu dans le parvis, le public suppose toujours qu'ils sont dans l'intérieur, et tant qu'il voit le temple ouvert, il est assez sousentendu que la scène est dans ce temple. Jamais l'unité de lieu n'a été plus rigoureusement observée. Il serait à souhaiter que la façade du temple ne laissât que huit pieds pour le vestibule, que les portes du temple étant ouvertes les acteurs ne s'avançassent jamais jusqu'es dans ce vestibule ouvert, jusques dans ce parvis. Mais encor une fois si leur voix alors ne faisait pas assez d'effet, il faudrait bien leur passer de s'avancer deux ou trois pas dans ce parvis. Je soupçonne que vous avez cru que la porte du temple devait être comme à L'ordinaire dans le fonds du téâtre. Mais non, elle est sur le devant. Imaginez qu'au premier acte la toile se lève, on voit sur le bord du téâtre la façade d'un temple fermé. Sostene est à la porte du temple. Cette porte s'ouvre, dès que la toile est levée, Cassandre sort du temple pr parler à Sostene, et la porte se referme incontinent, après avoir laissé voir au spectateur deux longues files de prêtres et de prêtresses couronnéz de fleurs, et une décoration magnifiquement illuminée aufonds du sanctuaire. L'œil toujours curieux et avide est fâché de ne voir qu'un instant ce beau Spectacle, mais il est ravi lors qu'à la troisième scène, il voit la pompe de la cérémonie du mariage dans ce temple, et Antigone qui frémit de colère à la porte.

Il ne s'agit donc que de marquer en marge expressément, les endroits où Les acteurs doivent être.

Il serait à souhaiter qu'on pût représenter une place, un parvis, un temple; mais, puisque dans nos petits tripots parisiens nous ne pouvons imiter la magnificence du téâtre de Lyon, il faut suppléer comme on peut à notre mesquinerie. On fermera donc le temple au commencement du quatrième acte, et Cassandre et Antigone qui étaient dans l'intérieur à la fin du trois, seront dans le vestibule ou parvis au commencement du 4, ils seront prêts à fondre l'un sur l'autre partant chacun de la première coulisse, le grand prêtre et sa suitte au milieu. Cela doit faire un très beau spectacle. Tout parle aux yeux dans cette pièce, tout y forme des tableaux, tantôt attendrissants, tantôt terribles.

Ce genre un peu nouveau demande le plus grand concert de tous les acteurs et du décorateur, et n'est peutêtre pas l'ouvrage de six jours.

Un des tableaux les plus difficiles à exécuter est celuy où Statira est mourante entre les mains d'Olimpie qui, embrassant sa mère et repoussant Cassandre, appellant du secours, et craignant en même temps pour son amant et pour sa mère doit exprimer un mélange de mouvements et de passions qui ne peut être rendu que par une actrice consommée. Le tableau du cinquième acte est d'une exécution encor plus difficile. Ainsi j'avoue avec mes anges qu'il n'y a que mademoiselle Clairon qui puisse jouer Olimpie. Il me semble qu'elle a pour elle le premier acte, le quatre et le cinq. Statira n'en a que deux où elle efface sa fille. De plus on peut donner à la pièce Le nom d'Olimpie, afin que mademoiselle Clairon ait encor plus d'avantages, et paraisse jouer le premier rôle.

J'avouerai encor après y avoir bien pensé qu'il vaut mieux ne point donner la pièce au téâtre que de la hazarder entre des mains qui ne soient pas exercées et acountumées à faire aprocher celles du parterre l'une de L'autre.

J'imagine qu'avec un Cassandre bien emporté, bien tendre, bien égaré, avec un Antigone insolent, un hierophante rempli d'onction, melle Duménil n'ayant bu que bouteille

Je r'ouvre ma lettre pour vous dire que

J'ay tué Statira! mais c'est dans les combats,
C'est en sauvant mon père, en luy prétant mon bras,
C'est dans l'emportement du trouble et du carnage
Où le devoir d'un fils égarait mon courage.
J'ay tué Statira! mais seul de tant de rois
J'ay gémi, j'ay pleuré sur ces affreux exploits.
Je les détesterais quand mon âme asservie
N'aurait jamais connu les charmes d'Olimpie.
Oui je suis innocent au jugement des dieux,
Devant le monde entier, mais non pas à mes yeux,
Non pas pour Olimpie; et c'est là mon supplice,
C'est là mon désespoir etc.