le 17 avril 1764
Très illustre et très cher ami, je fus dès le lendemain de l'arivée de vostre dernière lettre chés mr. d'Argental tirer la lettre à vüe que vous m'acordiés, pour lire ce conte charmant des 3 manières d'aimer; j'étois pressant, il vit bien à qui il avoit à faire, il fit honneur à la vostre, il m'enferma dans une chambre, notés sans plume et sans carnet, et il fit bien; je lus avec un plaisir extrême ce conte à la Lafontaine bien clair et bien Elegant sans l'estre trop, et je vis avec transport que mon ami sait toujours ajouter à tout ce qu'il manie un air peu commun et de nouveauté; vous nous exprimés ce joli récit en vers qui conviennent à chaque caractère.
C'est une leçon et une manière neuve de rendre piquant ce conte agréable.
J'ay vu vostre belle Tragédie d'Olimpie 6 ou 7 fois; vous avés voulu profiter de la disposition nouvelle de vostre Théâtre qu'à force de clameurs Vous avés enfin obtenue; vous aviés déjà essayé avec le plus grand succès ce que peut sur nous la représentation fidèle d'une action aidée de décorations qui y conviennent. Nous avions été effrayé de l'ombre de Ninus sortant de son tombeau et y apellant la cruelle Semiramis qui l'y avoit fait descendre. Elle y va entrainée par sa destinée et elle y trouve la mort par une main qu'elle a trop chérie, et on s'entoit frappé de terreur.
Vous donnés à la scène un spectacle nouveau et du mesme genre, la tendre et la vertueuse Olimpie aime Cassandre; Esclave il [lui] a conservé la vie, il l'a élevé avec le plus grand soin, il l'adore mais elle se trouve dans le mesme lieu où se trouve Statire, qu'elle ne connoit point et qui est sa mère.
Mais ce Cassandre à qui Olimpie a tant d'obligation est le meurtrier de cette mère et il a mesme trempé dans la mort de son père; Olimpie aprend de Statire qu'elle est sa mère et les horreurs de Cassandre, mais elle l'aime passionément. L'impression est faite; elle promet à Statire de ne point l'Epouser quoy qu'elle le luy ait juré sur les autels. Cassandre est l'amant le plus emporté. Enfin elle se rend à sa mère et à son amant en se jettant dans le Bûcher qui consume Statire et plustôt que d'estre à Antigone elle périt.
Malgré toutes les beautés du sujet et de détail cette magnifique Tragédie ne m'a point causé tout l'Effet que je m'en promettois et quoy qu'à chaque représentation tout fut rempli, il m'y a paru quelques endroits languissants. J'en ay cherché la cause, et j'ay cru trouver que le Rosle d'Antigone y jettoit la froideur, dont je me plaignois. Ce n'est pas peutestre qu'il soit absolument inutile, mais du moins il [le] paroit trop souvent. D'ailleurs Cassandre y dit trop à Sostène dès la première scène du 1er acte le secret de la naissance d'Olimpie, sans nécessité, car il ne peut tirer aucun service de cette confidence; il répète un peu les mesmes choses. La catastrophe est effrayante et le rosle de l'hierophante est complètement beau, le spectacle admirable et d'un grand effet. Il n'y a rien de plus frapant que ce temple qui s'ouvre et qui, devant Antigone, montre aux yeux des spectateurs Olimpie jurant entre les mains du grand prestre un amour éternel à Cassandre. Il n'y a rien de plus imposant que de voir toutes ces filles consacrées aux dieux d'Ephese en acomplissant le culte et les cérémonies; et Statire sous le nom d'Arzane, quand elle s'aquite du devoir de l'Etat qu'elle a embrassé, se trouve la fille de Darius, la veuve d'Alexandre et la mère d'Olimpie; il n'y a que le plus grand génie et le maitre du Théâtre françois qui puisse imaginer une si belle pièce.
Mais je voudrois encore que le premier de nos Poètes eût un peu plus de soin des détails et du stile; ma tendre admiration, mon amitié de 40 ans et plus ne soufre point que mon illustre ami se permette des négligences. J'ay tué Statire, dit Cassandre, scène 1ere du 3e acte, cette expression est prosaïque. Il y a plusieurs fois d'employé le mot de ma femme, qui n'est point assés noble. La rime d'Alexandre avec celle du mot répandre revient trop souvent; le mot de je persiste que dit Antigone est trop de la conversation. Fille de Roy des Rois, veuve d'un demi dieu dont se sert Statire y est plus d'une fois employé. Dans la scène 5e du 4e acte Olimpie dit à Cassandre qui veut l'enlever
Je ne sais si ce sentiment n'est point déplacé soit que la situation présente d'Olimpie ne permet pas ce retour d'amour si passioné.
Je crois sans aucune Tasche cette admirable tableau; il n'y a qu'un homme qui vous est si attaché et qui vous admire aussi sincèrement qui puisse vous dire ces choses, comme il n'y a qu'un homme aussi audessus de tous que vous et aussi capable de les corriger, qui ait la bonté de les lire.
Mais je voudrois que mon illustre ami fût audessus de toute critique.
Mde de Pompadour.
J'ay enfin l'immortelle Edition de Corneille. Il n'apartenoit qu'au grand Voltaire de faire des observations sur le grand Corneille.
Je l'ay fait brocher, je vais le lire et j'oseray vous en dire mon avis.
Nous attendons avec l'impatience qui vous est dües ce petit volume de contes qui nous est promise.
On demande toujours aux dieux dont la bonté et les dons sont inépuisables.