ce 10 may 1763
J'ay eu la bonne fortune, illustre et cher ami, d'entendre vostre Tragédie d'Olimpie chés mde Du Boccage.
Mr. Saurin, qu'elle ne connoît point, étoit chargé, luy dit-il, de la luy Envoyer. Elle est imprimée à Francfort et un mr. Colini, éditeur, dit ce me semble qu'elle a esté représentée à Manheim devant l'Electeur.
Elle nous fut lüe par mr. l'abé Trublet. Je crus voir un de ces chanoines Nègres, nud, comme la main, le bonnet quarré en teste, n'ayant pour tout surplis qu'une aumusse sur le bras, que Peint si plaisamment, mde de Sevigné, forcé comme l'esprit immonde de chanter les louanges du très haut; en effet le pauvre diable chanta assés bien vos beaux vers et fut obligé avec tout le monde de les aplaudir.
Cette pièce, à quelques longueurs prés que vous avés dit'on retranchées, me parut la digne cadette des ses soeurs ainées. La scène est dans un couvent du temple d'Ephese, une des nones principales, Statire, la veuve de Darius et depuis d'Alexandre, s'y trouve au nombre des Repenties; mais parmi les novices prestes à prendre le voile, elle y reconnoit sa chère Olimpie qu'elle a crüe morte et l'unique fruit de ses dernières noces; quand cette fille si chère va consommer ce sacrifice de sa liberté, deux Rois, Cassandre, et Antigone,
Soldat sous Alexandre et Rois après sa mort viennent se la disputer le fer à la Main, à la porte du Temple; ce Cassandre que la jeune Princesse a trouvé si digne d'estre aimé, qu'elle a vu si beau, qu'elle a cru si généreux, fut le meurtrier du grand Alexandre et Olimpie paye de sa vie le malheureux attachement qu'elle eut pour cet indigne amant &c.
Enfin vous nous présentés sur la scène [ . . . ] un prestre tel qu'il en faut pour aprocher des autels, un honneste homme, qui n'est ny fourbe ny haineux, qui ne fait point donner de lettres de cachet. Ce n'est point ce Joad qui fit dévorer par des chiens Attalie sa Reine légitime, ce n'est point ce conspirateur abominable. C'est un Busenbaum, un la Croix, un Mazotta, un Malagrida, un Damien &c. En vérité les jésuites et leur morale sont fort anciens.
Mais pourquoy donc ne pas nous Envoyer cette belle Tragédie, si pleine de moeurs et de beaux sentimens? pourquoy ne pas la donner à prescher à Clairon qui sera en état dans quelques mois d'en Entretenir un nombreux auditoire? ne faut'il donc pas oposer ce dernier factum aux apologies perverses des Régicides?
Je vous aurois rendu un meilleur compte de ce bel ouvrage si je l'avois entendu plus d'une demie heure, si je l'avois tenu entre mes mains.
Faites moy la grâce de me dire où en est la santé de mde Denis; cette maladie dure bien du temps et est bien rebelle aux Remèdes de mr. Tronchin; j'en suis très inquiet; le moins qui m'en puisse ariver, c'est qu'elle m'ait totalement oublié.
Pour moy, mon cher ami, je suis totalement confisqué; j'ay des vapeurs, j'ay une Trouble dans la teste qui ne me permet plus de m'apliquer, Eripuere jocos, on veut me faire revenir la goute. Je prens depuis 15 jours des bains. Jugés de mon Etat qu'on me dit qu'il n'y a qu'un mal très réel qui puisse me racommoder. Je ne m'en plains que parcequ'il en oste le peu que j'avois d'esprit pour vous admirer, mais le coeur tout entier me reste et est tout à vous pour vous aimer toute ma vie.
C.
Je vais sur la fin du mois à Launay cultiver mon petit jardin.