1762-09-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Joachim de Pierres, cardinal de Bernis.

Je suis affligé en mon étui, monseigneur, mes sens me quittent l'un après l'autre en dépit de Tronchin.
La nature est plus forte que lui dans une machine frêle, qu'elle mine de tous les côtés. Une fluxion diabolique m'a privé de l'ouïe et presque de la vue. La famille d'Alexandre s'en est mal trouvée. Je l'ai abandonnée jusqu'à ce que je souffre moins, mais je n'ai pas abandonné la famille des Calas, qui est aussi malheureuse que celle d'Alexandre. Je prends la liberté d'envoyer à votre éminence un petit mémoire assez curieux sur cette cruelle affaire; la première partie pourra vous amuser, la seconde pourra vous attendrir et vous indigner. Le conseil enfin est saisi des pièces, et on va revoir le jugement de Toulouse. Vous me demanderez pourquoi je me suis chargé de ce procès; c'est parce que personne ne s'en chargeait, et qu'il m'a paru que les hommes étaient trop indifférents sur les malheurs d'autrui. Si Pierre III n'avait pas été un ivrogne, son aventure serait un beau sujet de tragédie. Deux rivales, une femme prête d'être répudiée, une révolution subite, l'étoffe ne manque pas. L'amour encore a fait assassiner le roi de Portugal; et puis, qu'on aille dire que nous avons tort de mettre de l'amour dans nos pièces!

En voilà trop pour un sourd, presque aveugle. Nous répétons Cassandre. Mademoiselle Corneille ne jouera pas mal Olimpie; mais elle jouera mieux Chimène, comme de raison.

Je vous rétière mes très tendres respects.

V.