le 11e de février 1764
J'ay quitté me métairie, illustre et cher ami; je suis à Paris et je tourne les yeux vers les lieux saints, vers ce Ferney que vous éclairés, j'invoque le génie gay et le philosophe aimable qui l'habite et je vous Ecris bien honteux de mon long silence, et plus encore de n'avoir plus à vous Ecrire qu'en assés mauvaise prose.
Il me semble, et j'en augure bien pour ma misérable santé, que vostre muse suporte à merveilles les grâces et la vigueur de vostre Printemps; rien en Effect de plus Printanier que vostre conte de Berthe et vostre conte d'André et de Denis: rien de meilleure plaisanterie que vostre Quackre. Je n'ay point eu le bonheur de lire vostre discours sur la Tolérance, on en dit merveilles; est'il possible qu'il faille employer la persuasion et l'Eloquence pour convenir de cette vérité? et qu'étant anoncé le livre qui en traite, ne soit pas librement dans les mains de tout le monde? n'est-il pas de premier principe de laisser à chacun le choix du culte qu'il a été déterminé par l'éducation de rendre à l'Estre souverain?
Nous sommes encore bien Enfans, mais il faut supléer à leur foiblesse et enduire de miel les bords du vase dans lequel est contenu la potion salutaire du vray. . . . Aussi dit'on que mr. du Chois . . . vous prie de nous la faire prendre. Il ne pouvoit s'adresser à un plus grand médecin des Esprits.
Ne verrons nous point au Théatre françois Olimpie et le modèle des grands prestres? Nous en avons assés de mauvais sans qu'on nous en donne encore des Exemples. Dédomagés nous des pièces misérables qui nous ennuyent; on nous menace d'un Idomenée de le Miere; celuy de Crebillon et un autre à l'opéra n'ont pas réussi. Il n'y a dans ce sujet qu'une situation et c'estoit peu de fil pour la trame et le Tissu d'une Tragédie.
Granval est rentré à la comédie françoise; il s'est enfin ennuyé de se battre à coup de pinsettes avec la Dumenil dans leur Taudis.
Baron disoit qu'il faudroit qu'un acteur fût élevé sur les genoux d'une Reine: n'est'il pas étonnant qu'on aille chercher aux Porcherons Merope, Agrippine, Britannicus et Cinna?
J'ay entendu ces jours cy un conte Poliçon de Pirron, vous le jugés bien, intitulé les Queües, dédié à mr. de st Florentin. Il est beaucoup trop long, mais il y a quelques vers. Il n'est encor qu'en manuscrit.
J'ay cru vous amuser un moment mais j'ay satisfait mon coeur en vous rapelant ce que je vous dis depuis 50 ans que personne au monde, n'a une plus haute vénération pour vos sublimes talens, ny une tendresse plus véritable que vostre admirateur et vostre très sincère ami
Mon adresse est à mr. de &c. rüe st Pierre, quartier Montmartre.
C.
Offrés je vous prie mes homages à mde Denis qui m'a totalement oublié.
à Paris ce 11e de février 1764