13 aoust [1755]
Vraiment mon cher ange, il ne manquait plus à mes peines que celle de vous voir afflige.
Je ne m'embarasse guères de vos gronderies; mais je souffre baucoup de l'embaras que vous donnent les bâteleurs de Paris. Mon divin ange grondez moy tant qu'il vous plaira, mais ne vous affligez pas; Monsieur de Richelieu me mande qu'il faut que Granval joue dans la pièce. Très volontiers, luy di-je, je ne me mêle de rien; que le Kain et Granval s'étudient à vous plaire, c'est leur devoir. Je vous mande à vous mon cher ange, ce que je pense sur les acteurs; que Sarrazin est vieux, ce n'est pas ma faute, que le Kain ne prononce guères, et qu'il a joué chez moy la déclaration d'Orosmane très mal, ce n'est pas encor ma faute. Granval est dur et n'a point de nuances. J'en suis fâché. made Duménil s'enivre trop souvent. Je n'en peux mais. Grandval est un faquin et un insolent qu'il faudrait punir. Je ne suis pas premier gentilhome de la chambre. Je gémis que quand un homme comme vous daigne se mêler de ces amusements les quatre premiers gentilshommes ne soient pas assez sensez et assez honnêtes pour venir vous remercier, pour vous remettre un pouvoir absolu sur ces gredins et pour mettre au cachot le premier impertinent de la trouppe qui refuserait d'obéir à vos ordres. C'est ainsi assurément qu'on devrait en user. La comédie est aussi mal conduitte que les pièces qu'on luy donne depuis si longtemps. Le siècle où nous vivons est en tout sens celui de la décadence, il faut l'abandonner à son sens réprouvé. J'ay désiré mon cher et respectable amy qu'on donnast mes magots à Fontaineblau puisqu'on doit les donner; et je l'ay désiré afin de pouvoir détruire dans une préface les calomnies qui viennent m'assaillir au pied des Alpes. Vous savez une partie des horreurs que j'éprouve et je dois à votre amitié le premier avis que j'en ai eu. La députation de Grasset est le résultat d'un complot formé de me perdre partout où je serai. Jugez si je suis en état de chanter le dieu des jardins. J'en dirai pourtant un petit mot quand je pourai être tranquile, mais je le dirai honnétement. Toutte grossièreté rebute, et vous devez vous en apercevoir par la différence qui est entre la copie que je vous ay envoyée et l'autre exemplaire. Je vous supplie de répandre cette copie le plus que vous pourez et surtout de la faire lire à monsieur de Tibouville. Je vous en conjure. Ah mon cher et respectable ami quel temps avez vous pris pour me gronder! celuy que votre oncle prend pour m'achever. Je vous embrasse tendrement. Les hommes sont bien méchants, mais vous me racomodez avec l'espèce humaine.