1733-01-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Ma santé est pire que jamais.
J'ay peur d’être réduit à ce qui seroit pour moy une disgrâce horrible, à ne plus travailler. Je suis dans un état qui me permet à peine d’écrire une lettre. Les vôtres m'ont charmé mon cher Cideville. Elles sont toujours ma consolation quand je soufre, et augmentent mes plaisirs quand j'en ay. Je n’écriray point cette fois cy à notre aimable Formont par la raison que je n'en ay pas la force. Je luy aurois déjà envoyé les lettres angloises, mais voicy ce qui me tient. Mr l'abbé de Rotelin m'a flatté qu'en adoucissant certains traits je pourois obtenir une permission tacite, et je ne sçai si je prendray le party de gâter mon ouvrage pour avoir une aprobation.

Il a falu que j'aye changé l’épître dédicatoire de Zaire qui auroit paru tout uniment et sans contradiction, sans le mal entendu entre mr votre PP. et mr de Rouillé. Heureusement toute cette petite noise est entièrement apaisée. J'ay sacrifié mon épitre, et j'en fais une autre.

Vous n’êtes pas le seul qui corrigez vos vers. En voicy trois que j'ay cru devoir changer dans le premier acte de Zaire. Je vous sournets cette rognure comme tout le reste de l'ouvrage.

FATIME

Vous allez épouser leur superbe vainqueur.

ZAIRE

Eh qui refuseroit le présent de son cœur?
De toutte ma faiblesse il faut que je convienne,
Peutêtre que sans luy j'aurois été crétienne,
Peutêtre qu’à ta loy j'aurois sacrifié.
Mais Orosmane m'aime, et j'ay tout oublié.
Je ne vois qu'Orosmane, etc.

Il me semble que tout ce qui sert à préparer la conversion de Zaire est nécessaire, et qu'ainsi ces vers doivent être préférez à ceux qui étoient en cet endroit.

Adien Il ne se fait plus de bons vers qu’à Rouen. Les lettres que vous m’écrivez en sont farcies. Mr de Formont a envoyé une petite épitre à me de Fontainemartel qui auroit fait honeur à Sarrazin et à l'abbé de Chaulieu. Adieu, la plume me tombe des mains.