1732-12-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Il est deux heures après midy.
Je reçois dans ce moment votre lettre mon cher amy. Je vous diray avec la précipitation où me met l'heure de la poste que j'envoyay hier sous le couvert de mr de Formont, une nouvelle copie de l’épître telle que je souhaitte qu'elle soit imprimée. Je suis bien flatté de me rencontrer avec vous dans presque tous vos sentiments. Vous verrez que j'ay adouci dans cette nouvelle copie une partie des choses que vous craignez qui ne révoltent. Je ne suis point du tout de votre avis sur les trois rimes féminines, et masculines de suitte. Il me paroit que ce redoublement a baucoup de grâce dans ces ouvrages familiers et je vous renvoye sur cela à notre amy Chapelle et à l'abbé de Chaulieu qu'on imprime àprésent. A l’égard du stile de cette épitre, j'ay cru qu'il étoit temps de ne plus ennuyer le public, d'examens sérieux, de règles, de disputes et de réponses à des critiques dont il ne se soucie guère. J'ay imaginé une préface d'un genre nouvau dans un goust léger qui plaît par luy même, et à l'abry de ce badinage je dis des véritez que peutêtre je n'oserois pas hasarder dans un stile sérieux.

Tous les adoucissements que j'ay mis à ces véritez les feront passer par ceux même qui s'en choqueroient si on ne leur doroit pas la pillule. L’éloge que je fais de Louis 14 est plutôt un encouragement qu'un reproche pour un jeune roy. Enfin pour plus de sûreté j'ay montré l'ouvrage à celuy qui est chargé de la librairie et je suis convenu avec luy que je le ferois imprimer sans aprobation, et qu'il paroitrait dans une seconde édition.

Je vous prie donc de vouloir bien dire à Jcre qu'il presse l'impression de Zaire et de cette épître, et qu'il conforme de point en point à tout ce que je luy ay écrit. Si vous trouvez encor quelque chose à redire dans l’épitre vous me ferez plaisir de me le mander. J’écriray demain à mr de Formont. Adieu, adieu.