1732-10-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Madeleine de Lubert.

Muse et grâce,

Madame de Fontainemartel m'a envoyé votre lettre pour me servir de consolation dans l'exil où je suis à Fontaineblau.
Je voi que vous êtes instruitte des tracasseries que j'y ay eues avec mon parlement et de la combustion où toutte la cour a été pendant trois ou quatre jours au sujet d'une mauvaise comédie que j'ay empêché d’être représentée. J'ai eü un crédit étonnant en fait de bagatelles, et j'ay remporté des victoires signalées sur des choses où il ne s'agissoit de rien du tout. Il s'est formé deux partis, l'un de la reine et des dames du palais, et l'autre des princesses et de leurs adhérans. La reine a été victorieuse, et j'ay fait la paix avec les princesses. Il n'en a coûté pour cette importante affaire que quelques petits vers assez médiocres, mais qui ont été trouvez fort bons par celles à qui ils étoient adressez, car il n'y a point de déesse dont le nez ne soit réjoui de l'odeur de l'encens. Que j'aurois de plaisir à en brûler pour vous, muse et grâce! Mais il faut vous le déguiser trop adroitement, il faut vous cacher presque tout ce qu'on pense.

Je n'ose dans mes vers parler de vos bautez
Que sous le voile du mistère!
Quoy sans art je ne puis vous plaire?
Lors que sans luy vous m'enchantez?

Non muse et grâce il faut que vous vous acoutumiez à vous entendre dire naivement qu'il n'y a rien dans le monde de plus aimable que vous, et qu'on voudroit passer sa vie à vous voir et à vous entendre. Il faut que vous racomodiez le parlement avec la cour afin que vous puissiez venir souper très fréquemment chez madame de Fontainemartel, car si vous restez à Tours seulement encor quinze jours il y aura assurément une députation du parnasse pour venir vous chercher. Elle sera composée de ceux qui font des vers, de ceux qui les récitent, de ceux qui les notent, de ceux qui les chantent, de ceux qui s'y connoissent. Il faudra que tout cela vienne vous enlever de Tours, ou s'y établir avec vous. Je me mêleray parmy messieurs les députez, et je vous diray,

Un parlement n'est nécessaire
Que pour tout maudit chicanneur,
Mais les gens d'esprit et d'honneur
Font du plaisir leur seule affaire.
Plaignez leur destin rigoureux:
Six semaines de votre absence
Les a tous rendus malheureux.
Rendez vous à leur remontrance,
Et revenez vivre avec eux,
Tout en ira bien mieux en France.

Permettez moy d'assurer monsieur le président de Lubert de mes respects, et daignez m'honorer de votre souvenir.

V.