De Lunéville [c. 15 February 1748]
J'ai appris, monsieur, dans cette cour charmante où tout le monde vous regrette, que j'étais exilé; vous m'avouerez qu'à votre absence près, l'exil serait doux. J'ai voulu savoir pourquoi j'étais exilé. Des nouvellistes de Paris, fort instruits, m'ont assuré que la reine était très fâchée contre moi. J'ai demandé pourquoi le reine était fâchée: on m'a répondu que c'était parce que j'avais écrit à madame la dauphine que le cavagnole est ennuyeux. Je conçois bien que, sij'avais commis un pareil crime, je mériterais le châtiment le plus sévère; mais en vérité, je n'ai pas l'honneur d'être en commerce de lettres avec madame la dauphine. Je me suis souvenu que j'avais envoyé, il y a plus d'un an, quelques méchants vers à une autre princesse très aimable, qui tient sa cour à quelque quatre cents lieues d'ici, et qu'en lui parlant de l'ennui de l'étiquette, et de la nécessité de cultiver son esprit, je lui avais dit:
Car il faut savoir qu'on joue à ce beau cavagnole ailleurs qu'à Versailles; au reste, monsieur, si la reine s'applique cette satire, je vous supplie de lui dire qu'elle a très grande raison.
Ainsi, dussé-je être coupable de lèse-majesté ou de lèse-cavagnole, je soutiendrai très hardiment qu'une reine de France peut très bien s'ennuyer au jeu, et que même toutes les pompes de ce monde ne lui plaisent point du tout. Il y a quelque bonne âme qui, depuis longtemps, m'a daigné servir auprès de la reine par des mensonges officieux; mais vous, monsieur, qui êtes malin et malfaisant, je vous prie de lui dire les vérités dures que je ne puis dissimuler; ce sont des esprits malfaisants et méchants comme le vôtre, qu'il faut employer quand on veut faire des tracasseries à la cour: j'oserais même proposer cette noirceur à m. le duc et à madame la duchesse de Luynes.