1748-03-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Ce sont des gens bien maladroits ma chère nièce, et je l'ose dire de mauvais citoyens que ceux qui prétendent qu'on est exilé pour une plaisanterie innocente et même pleine de morale.
Le roy est trop juste, trop éclairé, et trop bon pour donner des lettres de cachet aussi légèrement que ces messieurs. Mais que font par là ces bonnes gens? Ils avertissent qu'on peut exiler qui on voudra sans aucun prétexte, et que les lettres de cachet seront très bien venues. Ils mériteroient d'en faire L'épreuve.

Rien n'est plus faux que j'aye écrit à madame la dauphine. Cette lettre dont dont je vous envoye la copie fut écritte il y a plus de deux ans à une princesse qui tient sa cour à quelque quatre cent lieues d'icy. La Reine qui a vu cette lettre est bien loin d'en être fâchée, et Le Roy de Pologne son père qui m'a fait l'honneur de m'inviter à venir à sa cour, et qui me traitte avec les bontez les plus distinguées n'en useroit pas ainsi si j'étois disgracié à la cour de France.

Les gens qui seroient bien aises que je fusse exilé seront donc bien fâchez quand ils apprendront que Le Roy vient de me faire une nouvelle grâce en me faisant don d'une année des apointements de ma charge écoulée depuis la mort de mon prédécesseur jusqu'au jour de ma réception. C'est monsieur Philippe qui a eu le premier cette idée. Ainsi vos amis me servent, et le roy me donne des marques nouvelles de sa protection quand mes ennemis m'exilent. Je ne suis pas trop à plaindre avec l'envie des sots, les faveurs des rois et les douceurs de L'amitié. Mon bonheur sera parfait ma chère enfant vers le 20 de mars où je vous reverray, et où je m'arracheray à la cour charmante où je suis. Car vous savez que je vous aime encor mieux que les rois les plus aimables.

V.