1763-02-02, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

Il semble que depuis cinq ou six jours nous soyons passés sous un autre hémisphêre.
En est il de même chés vous? Il m'a paru par tout ce que vous avés écrit à frère Damilavile que vous avés mieux bravé l'hyver que moi. Depuis mon retour à Paris, j'ai été attaqué d'une toux convulsive si opiniâtre que le tems, les remèdes et les variations de la saison n'y aportent aucune diminution, aussi en vais je écrire à M. Tronchin qui me soulage, mais qui ne m'a pas encor guéri. Je passe toutes mes matinées non pas à faire mon corps, car je ne sais qu'y faire, mais à languir et à révasser, et passant de lectures en lectures jusqu'au diner de société qui me dissipe, et d'où je reviens le soir m'entretenir avec Platon chés frère Damilavile, que je ne quitte qu'àdix heures pour m'aller coucher. J'envisage comme une grande douceur de ma vie le projet que nous songeons à remplir à la st Jean de loger ensemble. Vous voyés par là combien nous cherchons à vivre davantage pour vous, et comme le goût sait réunir et entretenir l'amitié de ceux qui aiment à cultiver leur esprit et leur connoissances. Nous avons été surpris d'une manière fort agréable par le discours de M. l'abé de Voisenon qui nous a paru fort audessus de l'idée que nous avions de ses talents. Les gens de lettres doivent lui savoir gré de la considération qu'il inspire aux Grands pour eux. Ses Eloges ne sont point froids et insipides. Il a trouvé le secret d'être neuf et distingué sur un fonds usé et commun. En un mot, il y a beaucoup d'imagination, d'esprit et de grâces.

Je viens de lire un traité de l'éducation publique dont M. Diderot a été l'Editeur. Quoi qu'il soit d'un Prêtre très attaché à ses principes, il est rempli d'excellentes réflexions pour détruire les vieilles routines de l'éducation et les remplacer par de meilleures. Il ne pense pas comme Crevier, il requiert fortement la lecture de la Henriade et l'abrégé de l'hist. universelle de M. De Voltaire, ouvrage bien supérieuremtécrit. Tout y est réflechi et tous les traits peignent. On ne sait qui est cet auteur et Platon lui tient le secret qu'il lui a promis…. Devés vous après tant d'autres suffrages faire la moindre attention à tous ces méprisables écrivains folliculaires que la rage et l'envie inspirent? Celui dont je sais que l'histoire vous est parvenüe a été déjà payé pour sa première feuille de ces quatre vers:

Le Brun plein d'un orgeuil extrême
Voyant chacun le bafoüer
Prend le parti de se loüer
Dans un Journal qu'il fait lui même.

La lettre de la Czarine à Protagoras vient d'être enregistrée par l'Académie françoise. Elle fait l'entretien de toute la Cour, et honnore autant cette Princesse que le Philosophe.

Vous aprendrés que M. le Voyer vient de perdre l'intendce des harras du Royaume et la chasse du Parc de Vincennes dont il reste Gouverneur à la prière de M. le Duc d'Orleans pour lequel cependt il est disgracié. Il avoit reçu 70 mil livres de M. le Duc d'Orleans pour la chasse de ce parc, et cependt il continuoit de lui donner de nouveaux dégoûts, finissant par une réponse si mal sonnante, qu'il fut sommé une seconde fois de répondre par écrit. Il n'y changea rien, ce qui ayant été porté et exposé au Roi, il a été exilé à Berleme avec la perte que je viens de dire.

Le bruit se répand que vous mariés Mle Corneille et M. de Ciddeville nous en doit apprendre les conditions et les convenances. J'y prends beaucoup depart pour elle, et encore plus pour Mad. Denis et pour vous. Voilà encor du bien que vous allés faire, ce qui va mettre en fureur toute cette canaille et ces coquins qui ont démontré au Public qu'ils haissoient autant vos belles actions que vos beaux ouvrages. Bonjour, mon bienfaisant et sublime ami.

Tht