1776-12-23, de Ignace Frédéric de Mirbeck à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Je prends la liberté de vous adresser un exemplaire de la requête au roi, que j'ai fait imprimer pour les malheureux habitants du mont-Jura au nombre de douze mille.

Je sens, monsieur, combien ma faible plume vous paraîtra peu digne de cette cause intéressante, & combien il est téméraire d'oser adresser cette esquisse aride & heurtée au peintre sublime & immortel de tant de tableaux, où respirent à la fois l'humanité, la philosophie & l'éloquence.

Forcé de me livrer dans cette requête à des discussions sèches, je regrettais, à chaque ligne, de ne pouvoir réchauffer mon ouvrage des flammes de votre génie. Il me semblait qu'au lieu de défendre la cause de ces infortunés habitants, je la trahissais en quelque sorte involontairement, en restant, malgré moi, au dessous de l'idée que je m'étais formé de cette défense; mais il ne fut permis qu'à Prométhée de dérober le feu céleste pour animer l'argile.

Je vous envoie donc la statue grossière & inanimée que j'ai pétrie de mes mains; elle attend que votre souffle lui donne la vie.

L'intérêt que vous prenez à l'objet de l'affaire, vous inspirera d'ailleurs de l'indulgence. Qu'il est beau, monsieur, de vous voir empressé à consoler, à soutenir, à venger les victimes de l'oppression, & que je m'applaudis de déposer en ce moment aux pieds du plus beau génie de notre siècle, l'hommage que lui doivent & ses compatriotes qu'il honore, & ses contemporains qu'il éclaire, & tous les hommes en général, du bonheur desquels il n'a cessé de s'occuper.

J'ai l'honneur d'être avec un profond respect,

monsieur,

votre très humble & très obéissant serviteur

de Mirbeck